Les Innocents et les Autres, les liaisons dangereuses au cinéma

titre : Les Innocents et les Autres
auteure : Dana Spiotta
édition : Actes Sud
sortie : 6 février 2019
genre : roman

De quoi parle le dernier roman de Dana Spiotta ? Difficile d’en résumer la teneur tant il est complexe et offre de multiples entrées. Le livre tisse, d’abord, les liens d’amitié compliqués entre deux apprenties cinéastes ayant grandi à Los Angeles qui vont vivre des trajectoires artistiques différentes. Carrie, la conventionnelle, se lancera dans des comédies à succès empreintes de féminisme tandis que Meadow, l’excentrique, tracera sa voie dans la réalisation de documentaires exigeants et dérangeants.

La romancière Dana Spiotta dresse, ensuite, le portrait de Jelly, une quinquagénaire ex-malvoyante au physique peu avantageux et à la voix suave. Celle-ci engage des conversations téléphoniques avec des hommes esseulés gravitant dans le monde du cinéma. Forte de sa qualité d’écoute, elle parviendra à en séduire plus d’un. Mais ce jeu non lucratif tourne mal le jour où elle tombe réellement amoureuse d’un de ses interlocuteurs. La jeune réalisatrice Meadow, toujours en quête d’un cinéma vérité, va tirer profit de cette histoire d’amour téléphonique en exposant à l’écran son fragile modèle sous couvert de la manipulation ou de la perception trompeuse. A travers le portrait de Jelly, on peut y déceler la véritable histoire de la légendaire Miranda Grosvenor qui charma de nombreux artistes dans les années 70 et 80 grâce au pouvoir de sa voix (Richard Gere, Bob Dylan, Eric Clapton, Bono, Peter Gabriel…).

A la manière de Don DeLillo, Dana Spiotta affirme également sa fascination pour le film, l’image et le langage. Teinté de nombreuses références liées au 7e art, son roman aborde l’épineuse question des limites de la création artistique et offre une réflexion sur le fait d’être artiste. « C’est en partie une escroquerie. Et en partie de la magie. Mais pour faire quoi que ce soit, il faut aussi être un glaneur. Qu’est-ce qu’un glaneur ? Eh bien, c’est un mot élégant qui signifie voleur, sauf que vous prenez ce que personne ne veut. Non pas simplement les idées ou les choses sortant de l’ordinaire. Vous farfouillez dans la vie courante afin de découvrir ce que tous les autres négligent, ou ignorent, ou jettent ».

Dana Spiotta débusque les contradictions, les doutes et les rivalités qui parcourent la vie d’artistes. Dans un canevas mêlant confessions, séduction et manipulation, elle revient également sur la vanité et la course à la reconnaissance dans le milieu artistique. Sur les dégâts collatéraux des œuvres dans la vraie vie, aussi.

Avec Les Innocents et les Autres, la romancière canadienne signe un quatrième roman déstabilisant par sa construction alambiquée, ses références pointues et ses réflexions conceptuelles sur le cinéma expérimental. Certains n’y verront qu’un livre délayé contant l’amitié ambiguë de femmes cinéastes à grand renfort de name dropping. D’autres apprécieront ce récit à tiroirs, complexe, qui sonde les affres de la création.