« L’Entrée du Christ à Bruxelles », la société moderne passe au confessionnal

De Dimitri Verhulst, traduit par Danielle Losman. Mise en scène et adaptation de Georges Lini. Avec Eric de Staerck. Le 24 février 2024 aux Riches-Claires.

C’est officiel, le Christ revient sur terre et il a choisi Bruxelles pour faire son grand retour. Il arrivera le 21 juillet à l’aéroport de Zaventem. Déjà nos ministres se réunissent à Val duchesse pour savoir qui aura l’insigne honneur d’accueillir notre sauveur. Reste à savoir en quelle langue converser et quel visage lui offrir de notre chère capitale européenne.

Le texte est signé Dimitri Verhulst, auteur du splendide roman autobiographique « La Merditude des choses » : une plume acide, intelligente, irrévérencieuse et sans concession. A la mise en scène, Georges Lini, qui nous a déjà ravi avec des pièces mémorables : « Iphigénie à Splott », « La Sœur de Jésus-Christ », « Ivanov » ou encore « Queen Kong ». Sur scène, un Eric de Staercke en narrateur attentif, un conférencier du surréalisme qui jongle aussi bien avec les mots qu’avec son pointeur laser. Une sainte trinité qui s’était donnée pour mission de tirer le portrait de nos incohérences, de notre illogisme, de notre suffisance sans jamais basculer dans le discours moralisateur. Un miracle lorsque l’on sait que l’histoire contemporaine n’est pas avare de pêchés.

Je vous salue Marie aux quatre coins de la Belgique

Saviez-vous qu’en 1933 la Belgique avait connu un taux record d’apparition de la Vierge Marie sur son territoire ? Fort heureusement, la mère de Jésus-Christ n’avait pas eu connaissance de notre frontière linguistique, ce qui lui avait permis d’apparaitre de manière équitable aussi bien au nord et qu’au sud du pays. C’est parce que, voyez-vous, dans notre si petit royaume, les désaccords ont commencé par-là, par une question cruciale : qui des flamands ou des wallons ont la plus grande faveur de Dieu ?

Aujourd’hui, les croyances se sont tournées vers d’autres idoles : l’argent, le pouvoir, les privilèges, l’ascension sociale. Des cultes qui vont être bien mis à mal par l’annonce du retour du Christ sur terre. Déjà, la panique monte dans le clergé et dans les sphères d’influence. Partout, on le chuchote : « si le Christ revient… c’est que forcément, il voudra qu’on lui rende des comptes ».

Au nom de la scène, de la vérité et du second degré

La scénographie signée Thibaut de Coster et Charly Kleinermann fait la place belle à la sobriété : peu ou pas d’accessoires, uniquement des éléments dont le comédien va pouvoir se servir à loisir pour créer des ambiances ou appuyer son propos. Les images projetées sur un écran, quant à elles, vont servir de fil rouge, de catalyseur du récit et provoquer l’élément de surprise.

En nous rendant au théâtre, on s’imaginait rire et on le fait au début, gentiment et généreusement. Toutefois, au fil du plaidoyer de notre narrateur, cela devient de plus en plus difficile. Pas par faute de talents ou par absence de moments drôles, mais plutôt par la prise de conscience des vérités qui nous sont brillamment énoncées.

C’est toute la force d’une œuvre au service du spectateur, elle n’existe pas dans l’intention de choquer ou de bousculer. Elle est présente dans sa plus tragique vérité et c’est cette réalité dénuée de toute accusation, de toute morale qui est bouleversante. On ne nous dit pas quoi penser, on met simplement en lumière ce qui est. C’est uniquement dans cet interstice que l’histoire fait son chemin, qu’elle germe dans un coin de l’esprit et qu’elle devient ensuite impossible à ignorer.

« L’entrée du Christ à Bruxelles » est un seul en scène criant d’authenticité, brossant le portrait de nos incohérences en tant que société. Un rendez-vous immanquable s’il passe à côté de chez vous !