Le football comme objet artistique ou « Substitut » religieux

De Laurent Plumhans, avec Jeanne Berger, Mathieu Besnard, Audric Chapus, Émilie Chertier, Ibrahima Diokine Sambou, Thibault Sartori. Du 7 novembre au 18 novembre 2023 au Théâtre de la Vie.

En projection, le mur affiche « avant match ». Le public s’installe sur fond de cris de supporters. Un homme s’assied sur une chaise et se lamente qu’il ne lui reste que 23 roubles pour nourrir sa famille. « On peut être pauvre et heureux » lui rétorque la femme en noir qui vient de le rejoindre.

Résonne la voix d’un commentateur. Nous sommes apparemment dans la propriété d’un magnat russe sur le point d’assister à un spectacle. Le speaker commente l’événement comme un match de football. « Première séquence de jeu à couteaux tirés ». Deux autres hommes montent sur scène, changement de style. Une phase est rejouée au ralenti avant l’interview d’un acteur, notamment sur la question de l’argent. « C’est du théâtre, il faut rester professionnel. »

Autre lieu et autres personnages. C’est l’époque du mercato. L’entraîneur anglophone plaide pour l’achat de nouveaux joueurs. Un autre membre du staff prône, pour sa part, de faire monter les jeunes joueurs. La situation est tendue, l’équipe vient d’aligner six défaites, les supporters sont déchaînés, au bord de l’émeute. La présidente Elise sollicite les membres de l’état-major afin de trouver des solutions. Certains en viennent aux mains, le pugilat se déroule au ralenti sur fond de musique sacrée.

Nouvelle scène. L’entraîneuse de l’équipe féminine qui vient de remporter trois titres consécutifs rencontre la présidente du club. Se présentant en porte-parole du vestiaire, elle demande « des salaires en adéquation avec les résultats » de son équipe, largement supérieurs à ceux des hommes – qui n’en touchent pas une –  dont les rémunérations sont pourtant dix fois plus élevées. La présidente tergiverse et la coache en vient à la menacer de révéler certaines affaires peu reluisantes concernant sa gestion du club.

Fan de foot contrarié – son père détestant ce sport, il était obligé de se cacher pour écouter les comptes-rendus des matchs du Standard de Liège -, l’auteur et metteur en scène Laurent Plumhans a lui-même tâté du ballon, en diablotin puis en pré-minime. Originaire de Verviers, formé au Conservatoire de Liège puis de Bruxelles, il a été surpris, lors de son arrivée dans la capitale, de constater que nombre d’acteurs partagent cette passion pour le ballon rond alors qu’elle n’a pas vraiment la cote dans les milieux artistiques.

Égrenant les moments charnières d’un match de football – avant match, première mi-temps, mi-temps, deuxième mi-temps, prolongations – Substitut analyse ce sport d’un point de vue esthétique – simuler une blessure en s’inspirant de la technique de l’Actor ‘s Studio – , social – le football à la fois émancipateur et coercitif, moutonnier -, religieux – moment ritualisé proche de la célébration eucharistique – et même philosophique – citation d’Albert Camus qui fut gardien de but et prix Nobel de Littérature pour qui « Vraiment le peu de morale que je sais, je l’ai appris sur les terrains de football et les scènes de théâtre qui resteront mes vraies universités. »  – voire psychologique – le rapport parent-enfant chez les supporters.

Laurent Plumhans ne fait pas pour autant l’impasse sur ce sport roi qui semble pouvoir tout se permettre en évoquant ses côtés plus sombres comme la relégation de joueurs pas trop dociles, les différends joueur/coach qui se règlent au tribunal, en passant par une séance d’entraînement très physique où Eric Romero (Audric Chapus) fait montre de ses capacités sportives mais aussi celles du système de broyer un homme engagé dans sa passion. Spectacle abouti, intelligent mais aussi drôle, « Substitut » ne laisse aucun des interprètes sur le banc de touche.