Le Dieu du carnage : une pièce jouissive et jubilatoire

© Gaël Maleux

De Yasmina Reza. Mise en scène d’Arthur Jugnot. Avec Nicolas BuysseThibaut Nève, Ariane Rousseau, Stéphanie Van Vyve. Du 17 mai au 30 juin 2023 au Théâtre Le Public.

L’heure est grave. Ferdinand, 10 ans, a blessé Bruno, son collègue de classe, avec un bâton jeté en plein visage. Bilan de l’altercation, deux dents de moins pour la victime. Les parents décident d’en discuter entre gens de bonne volonté autour d’un café et d’un clafoutis. Oui, discuter…peut-être au début. Mais que se passe-t-il quand les lois du Dieu du carnage s’en mêlent ?

Quatre personnages sont présents sur scène, deux couples : Véronique et Michel ainsi que Anette et Alain, interprétés respectivement par Ariane Rousseau, Nicolas Buysse, Stéphanie Van Vyve et Thibaut Nève. Tous respectables, tous politiquement correct à première vue, cherchant à résoudre au mieux le différent qui les oppose. Tous, sauf peut-être Alain, avocat, perpétuellement accroché à son téléphone et parasitant ainsi la réunion en recevant sans cesse des coups de fil d’une haute importance professionnelle. Ce dernier, alimentant une tension qui était déjà palpable, va petit à petit permettre aux masques de tomber, révélant ainsi la véritable nature de nos quadragénaires bobos parfaits. Tiré de l’ouvrage de Yasmina Reza, le Dieu du carnage tire un portrait au vitriol des fausses apparences mais s’amuse aussi avec délectation de nos contradictions et de nos failles.

Casting parfait

L’écriture drôle et incisive est merveilleusement délivrée par nos interprètes. Le casting d’une perfection admirable vient tantôt nous faire sourire, tantôt nous mettre dans l’inconfort. A mesure que la pièce se déroule, gagnant en puissance de jeu, nos comédiens atteignent le sommet de leur art en provocant systématiquement l’hilarité générale de la pièce à la moindre de leurs répliques.

On jubile, on se choque, on ouvre grand la bouche, on admire, on passe un moment absolument ravissant. La mise en scène d’Arthur Jugnot et la scénographie de Sophie Hazebrouck ont été particulièrement ingénieuses compte tenu de la disposition de la salle des voûtes. Nous permettant de profiter, durant tout le spectacle, de la performance de nos comédiens sans se priver de certains moments clefs à cause d’un mauvais angle de vue.

La richesse narrative de la pièce est grande et délivre avec une précision redoutable les enjeux cachés et les vérités honteuses. Un jeu de dominos qui ne cesse de s’effondrer sous nos yeux, perturbant l’équilibre précaire de chaque situation et provocant chez le spectateur un doux sentiment d’appréhension et d’excitation à l’idée de la prochaine révélation.

A cela se rajoute, la complicité et le plaisir manifeste que les quatre interprètes prennent à se jeter les pires atrocités au visage. Révélant ainsi tout le comique de situation sans cesse poussé à son paroxysme. Que ce soit lors du début des échanges frisant le ridicule à coup de niaiseries psycho-pédago bien sous tous rapport, jusqu’à l’apogée de ces couples explosant en plein vol. Ivres d’un instant de pur chaos et profitant de cette anarchie momentanée pour régler leurs comptes à base de coup bas et d’attaques frontales.

Le Dieu du carnage est une comédie à ne pas manquer. On en ressort heureux d’avoir ri à s’en décrocher la mâchoire et léger de cette folle catharsis qui aura eu le mérite de nous faire oublier nos tracas du quotidien…en tous cas pendant plus d’une heure. Et ça, c’est extrêmement jouissif.