Cinglée, lucide à en perdre la raison

De et par Céline Delbecq, Avec Yves Bouguet, Stéphane Pirard, Anne Sylvain, Charlotte Villalonga. Du 10 au 26 octobre 2019 au Rideau de Bruxelles.

« Les faits ne cessent pas d’exister parce qu’on les ignore »
Adlous Huxley

Cinglée, de Céline Delbecq, est une pièce qui veut faire entendre l’ampleur des féminicides qui ont lieu chaque jour autour de nous. Un spectacle essentiel qui nous pousse à ouvrir les yeux. Une création de la Compagnie de la bête noire.

Marta Mendes est une femme ordinaire qui s’insurge contre une réalité qu’elle voit trop souvent dans les journaux, celle de la violence faite aux femmes. Depuis janvier 2017, elle s’est abonnée à pas loin de 18 journaux, francophones et néerlandophones afin de rassembler les articles parlant de femmes mortes sous les coups des hommes de leur vie. Elle rassemble ces réalités, qui passent trop souvent inaperçues afin d’essayer d’alerter le monde et de faire bouger les choses. Pour ce faire, elle écrit des lettres à des organismes et au roi Philippe, lettres qui se soldent par une réponse commune : le silence. Elle dresse également une liste qui énumère les noms et prénoms des victimes ainsi que leurs villes et leurs dates de décès et les apprend par cœur. De cette manière, elle essaye de rendre leur singularité à chacune d’elles afin que ces femmes ne soient plus considérées que comme des « faits-divers ». 

La représentation débute avec le personnage de Marta, seule sur une petite estrade placée au centre de la scène. Elle est assise sur une chaise face à une table sur laquelle elle découpe méticuleusement des articles qu’elle classe ensuite dans des boites. Autour d’elle, des piles de journaux s’amoncèlent, nous faisant voir l’ampleur du massacre qui hante les rues et les domiciles. Cette scénographie, plongée dans un clair-obscur étudié, fait office de prolongation visuelle de l’état mental du personnage principal ; elle fait ressentir sa solitude, ses espoirs et son désarroi. 

A ce tableau vient se greffer un texte à la forme narrative. C’est avec lui que Marta, interprétée par Anne Sylvain, s’adresse directement à nous et au monde dans un jeu à la fois profond et plein de naïveté. Loin d’occuper une position de supériorité, elle nous raconte avec sincérité et une ironie déconcertante son histoire, sa lutte et la réaction de ceux qui l’entourent face à son changement de vie.  A cette interprétation viendront s’ajouter des passages chorégraphiés dévoilant des agressions de femmes. Une idée pertinente qui apportera un nouveau contraste entre les mots sur le papier et la réalité des faits. 

Cinglée est une pièce de théâtre nécessaire relatant des faits réels à côté desquels il nous arrive de passer. Une représentation d’une grande qualité, à ne pas manquer au Rideau de Bruxelles du 10 au 26 octobre 2019.