« La honte », l’année où mes parents ont fait tâche

Titre : La honte
Autrice : Annie Ernaux
Editions : Gallimard
Date de parution : 7 septembre 2023
Genre : Audio lu par Noémie Lvovsky

Ce roman d’Annie Ernaux, lu par la comédienne Noémie Lvovsky, commence par une scène forte et violente. En juin 1952, le père d’Annie a voulu tuer sa mère. Tout n’est plus clair dans sa tête, mais l’autrice se souvient de l’état second de son père, qu’il a tiré sa mère par les cheveux pour la descendre à la cave, du cri de celle-ci : « ma fille, à l’aide ». Le reste du livre racontera cette année 1952, l’année de ses 12 ans, et de la découverte de la honte sociale. Elle faisait partie de ces familles-là, de cette famille-là.

Cette scène terrible qui débute « La honte » marque l’écoute de ces pages où Annie Ernaux se cherche et analyse son vécu sociologiquement. De cette entrée en matière tonitruante, terrible, elle s’éloigne très vite pour en venir à ses souvenirs géographiques et distanciés. Son objectif est de créer une image mentale de ce temps-là, un pont entre la petite Annie et celle du moment de l’écriture, en 1996, une main tendue pour comprendre et décrypter « la honte » qui commençait à s’afficher alors.

L’écrivaine analyse dans une première partie son quartier, l’épicerie de ses parents, les mots dits, les vêtements sales (« garder le sale »). Elle détaille le religieux et l’école, dans une seconde partie, indissociés dans l’établissement privé dans laquelle elle se trouvait être bonne élève. Plus qu’une imposition, elle décrit une atmosphère douce de contraintes implicites, de religiosité coupable permanente, pour ne pas faire pleurer leur titulaire (de honte, une fois encore). Et comment sa mère s’est retrouvée en fichus à ouvrir la porte à sa professeure et des camarades, et que la petite Annie s’est dépêchée de rentrer à l’intérieur de chez elle pour couvrir cette vision cauchemardesque de sa mère en habit de nuit face au monde extérieur de l’école privée.

L’écoute de « la honte » est parfois étonnante, détonante. On se demande pourquoi avoir débuté cette histoire d’elle-même par une scène aussi puissante, pour s’en détourner par la suite pour raconter des banalités quotidiennes sociologiques, qui restent pourtant intéressantes. Débuter son livre par son climax, il fallait oser. Annie Ernaux souhaitait s’y attaquer ainsi, par peur qu’elle n’ait plus besoin/envie d’écrire quoique ce soit par la suite. Que tout soit dit. Mais rien ne l’était, elle se devait de dire l’époque, 1952, pour une petite fille de 12 ans d’une classe sociale populaire, ouvrière, découvrant un nouveau monde, une autre éducation.

Par sa mémoire spectaculaire et ses détails parfois glaçants, Annie Ernaux réussit encore l’exploit à interroger sa vie à l’aune de la grande Histoire, pour tendre un miroir sur notre éducation à nous. La voix hachée de Noémie Lvovsky raconte cette année 1952, de manière trop dramatique et distante à la fois, rendant parfois difficile à la comédienne de s’effacer derrière les mots de l’autrice.