La Fille du Sacrifice de Réhab Mehal à l’Océan Nord

©Diana David – Damien Petitot

Écriture et mise en scène Réhab Mehal. Avec Elisa Firouzfar. Du 27 septembre au 8 octobre 2022 au Théâtre de l’Océan Nord.

La Fille du Sacrifice est le troisième volet d’une suite de trois pièces de Réhab Mehal ; la metteuse en scène y interroge les conceptions modernes de la religion et de l’héritage. La matière du script s’ancre autour de la ligature d’Isaac, scène mythique de la bible où relation filiale, offrande divine et aveuglement religieux sont retranscrits dans la Bible et dans la célèbre peinture du Caravage. Ibra – Eliza Firouzfar – se présente comme une descendante de la lignée d’Abraham, portant autour de ses hanches l’écart séculaire qui la sépare de lui sous forme de foulards marocaines. 

Dès ses onze ans, la petite fille, l’aiguille, (Ibra en marocain) rêve de percer les secrets de la foi et se questionne sur les bienfaits et les singularités des rituels musulmans. Elle y décèle l’esprit fédérateur, festif, l’adoration inconditionnelle, mais également le sang sacrificiel ; celui des agneaux qu’on égorge avec respect pour l’AïdLeur mort lui provoque des saignements nasaux, une faiblesse qui n’atteint pas son entourage et qui constitue une blessure intime formatrice. Son costume de couleur rouge pourrait évoquer la mise à mort, la passion ou la sensualité, trois prismes qui créaient des conflits en son for intérieur et qui la poussent sur la voie du développement personnel. 

Le script joue sur la distance spectateur-acteur, en inculquant à la pièce une scène où Ibra s’adresse directement au public, l’invitant à partager une pomme avec lui ou l’interpellant afin d’avoir des informations sur le quartier de Schaerbeek. Un parti pris qui permet de désacraliser la quête spirituelle et toute la liturgie qui l’entoure et de ramener la narration sur un terrain concret. Il aurait d’ailleurs été intéressant de pousser cette dimension un peu plus loin afin de contourner la trame classique de la pièce et de casser les codes jusqu’au bout.

La mise en scène sobre de la petite salle d’Océan Nord permet de se centrer sur l’actrice : l’énergique et convaincante Eliza Firouzfar occupe l’espace sonore et physique pendant une heure et quarante-cinq minute sans signes de fatigue apparents. Les jeux de lumières sur le mur de scène signé Eloi Baudimont et la musique d’Omar Soulayeman immergent le spectateur dans l’expérience mystique. Transe corporelle et forces surnaturelles caravagistes façonnent le liant entre rêverie et monde matériel. La structure scénique vient donc épouser les lignes d’un chemin de vie où la féminité et la sexualité sont mises en avant, non pas en opposition à L’Islam, mais plutôt comme marques d’expression individuelle. 

La Fille du Sacrifice reprend les étapes d’une quête de spiritualité que les pulsions humaines viennent transgresser. Une performance intense et réjouissante dont on retient le jeu d’acteur et la cohérence scriptural aussi juste que sincère.