Découvrez l’univers de Jean Dubuffet à la Louvière avec « Le preneur d’empreintes »

© Centre de la Gravure et de l'Image imprimée de la Communauté française
© Centre de la Gravure et de l'Image imprimée de la Communauté française

affiche de l'expo "Jean Dubuffet le preneur d’empreintes"

Depuis le 6 juin dernier et jusqu’au 24 janvier 2021, le Centre de la Gravure et de l’Image Imprimée présente, avec La Fondation Dubuffet, Jean Dubuffet le preneur d’empreintes, une exposition consacrée au travail du célèbre peintre et lithographe.

Un artiste autodidacte

Peintre, sculpteur, écrivain, collectionneur, inventeur de la notion d’art brut : Jean Dubuffet est un artiste pluridisciplinaire et autodidacte. Fatigué par le monde artistique et culturel dans lequel il baigne lors de ses études à l’Académie Julian à Paris autour de 1918, il finit par reprendre le commerce de négociant en vin de sa famille. Ce n’est que tardivement qu’il décide de réinvestir le domaine de la peinture. Finalement, Jean est un peu un artiste punk avant l’heure. S’il n’en a pas franchement le look, il en a bien l’esprit. Déçu par les théories académiques, il conteste l’ordre établi, les codes, les chemins balisés. Il repousse les frontières et, s’il aime la lithographie, il n’hésite pas à envoyer valser la technique usuelle pour créer la sienne.

Une approche originale de la lithographie

Mais la lithographie, quèsaco ? Il s’agit de l’un des procédés de la gravure, développé au XVIIIe siècle, mais surtout utilisé au XIXe siècle. Pour cette technique de reproduction, on utilise la pierre, de type calcaire. On ne lui enlève aucune matière : on ne la creuse pas. Simplement, on dessine sur sa surface, lissée au préalable, grâce à un crayon ou à une encre grasse. Évidemment, cette technique rend les possibilités d’expression plus aisées et plus libres, proches du dessin, ce qui explique que l’artiste ait choisit cette technique en particulier. Ensuite, on vient mouiller la pierre avec un rouleur, avant d’en passer un second remplit d’encre. Après, c’est un peu le jeu de l’eau et de l’huile qui ne se mélangent pas quand on les verse dans un verre. L’encre (grasse) ne s’agglomère pas avec l’eau. Si bien que l’eau n’atteint pas les zones du dessin (réalisé à l’aide d’une encre ou d’un crayon gras, souvenez-vous !) alors qu’au contraire le rouleau encreur va s’apposer et nourrir le dessin. Une fois ces manipulations effectuées, il ne reste plus qu’à déposer la feuille – le support d’impression – sur la pierre, avant de la soumettre à la force d’une presse et d’obtenir une lithographie.

Et c’est ce que nous présente surtout Jean Dubuffet le preneur d’empreintes : une suite de lithographies réunies en une série que l’artiste nommera les Phénomènes. À l’origine, les Phénomènes réunissent 324 lithographies réparties en 22 albums – 13 en noir et 9 en couleurs. Toutes ont été réalisées entre 1958 et 1962. Mais comme il existe très peu d’assemblage complet des 22 albums, au sein de l’exposition on peut découvrir 130 planches issues de 9 albums, ce qui n’est déjà franchement pas mal

Jean Dubuffet, Amas, planche de la série lithographique Les Phénomènes, lithographie, 1959. 51.5 x 39 cm, ©Artnet.com.
Jean Dubuffet, Amas, planche de la série lithographique Les Phénomènes, lithographie, 1959. 51.5 x 39 cm, ©Artnet.com.

Un atlas des phénomènes naturels

Mais pourquoi les « Phénomènes » ? Simplement, l’artiste a souhaité réunir un « atlas » des phénomènes naturels du monde, pour les révéler. On peut y trouver des empreintes de sols, de pierres, de murs, ou encore d’éléments issus de la nature. L’artiste n’effectue aucune intervention autre que la pratique de reproduction par la lithographie. Bref, c’est une révélation des éléments naturels rendue possible par les seules réactions provoquées sur la pierre lithographique. Dubuffet lève ainsi le voile sur le monde – et sur nos yeux – ainsi que sur les phénomènes naturels qui nous entourent : « L’artiste se veut le révélateur d’un monde ignoré et immédiat, sans l’intervention de l’acte artistique » nous dit le Centre de la Gravure.

Topographie aux pierres, 1958, assemblage lithographique, Coll. Fondation Dubuffet, Paris ©ADAGP-Paris/SABAM-belgium2020
Topographie aux pierres, 1958, assemblage lithographique, Coll. Fondation Dubuffet, Paris ©ADAGP-Paris/SABAM-belgium2020

Et c’est là qu’on voit pointer l’étincelle de rébellion chez Dubuffet, qui est bien décidé à œuvrer seul ou presque, hors des sentiers battus. Pour cette série, l’artiste ouvre ses propres ateliers de lithographie, à Vence et puis à Paris avec, à disposition, un ouvrier employé pour l’aider. Ne dit-on pas que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même ? Imaginez que pour chaque couleur souhaitée, l’artiste a dû utiliser à une pierre lithographique différente (à chaque pierre sa couleur)… On ne va pas vous faire un dessin – ou une litho – pour imaginer le labeur accompli.

Un parcours qui laisse place à l’imagination

Et c’est ça qu’on aime avec Jean Dubuffet le preneur d’empreintes. Le visiteur se promène au milieu des lithographies en essayant de reconnaitre quel élément de l’environnement naturel l’artiste a souhaité « révéler ». On découvre, au rez-de-chaussée, un « Atlas Mnémosyne » naturaliste, ou un « musée imaginaire » constitué d’une collection de reproductions – plutôt de révélations – de phénomènes, d’états de la nature, de sensations, de matières et de textures.

La scénographie de l’expo se veut sobre et permet au visiteur de découvrir les planches organisées et séparées en fonction des différents albums dont elles proviennent à l’origine, ainsi que de la datation de leur réalisation. Les noms de ces neufs albums sont visibles à l’avant de chacune des planches les constituants. On laisse divaguer son imagination, entre autres devant les titres poétiques et naturalistes comme « champs de silence » « théâtre du sol », « eaux, pierres, sable », « spectacles ».

Pour terminer, on peut lire, en guise de titre pour le neuvième album, le mot-valise « anarchitecte » qui semble symboliser à la fois la pratique artistique et le personnage de Dubuffet. Un artiste anarchiste, qui s’oppose à l’académisme et aux codes existants pour créer en toute liberté. Mais aussi un artiste qui endosse la casquette d’« architecte » à plusieurs égards et dans plusieurs domaines. Il imagine une nouvelle technique lithographique qui lui est propre, avec sa théorie, son langage et son écriture, avant d’en diriger l’exécution.

Selon les mots de l’écrivain français André-Pievre de Mandiargues (1909-1991), dont la citation est visible dans l’exposition : « Jean Dubuffet ne se veut pas ‘’artiste’’ au sens conventionnel de la parole et son œuvre lithographique se présente plutôt comme un très vaste répertoire de formes, un conservatoire, un catalogue, une sorte d’herbier ou de musée naturel qui se pourrait augmenter indéfiniment car ses capacités sont illimitées. »

Les Murs

Au premier étage, on découvre les recherches qui ont précédé le cycle des Phénomènes, notamment Les Murs (1945). On aime en particulier ces lithographies qui, en guise d’illustrations, accompagnent les poèmes de Eugène Guillevic (1907-1997). Dubuffet, en bon punk à l’esprit anarchiste, s’inspire cette fois des graffitis – à la fois dans les visuels, les « impressions » et les techniques – pour réaliser ses lithographies. En les observant, on y associe, comme l’évoque l’un des panneaux informatifs « le crépi noir et encrassé des façades de Paris ». Le support papier semble se transformer en mur où l’image se voit rayée, balafrée, semble dure et se voit presque traitée avec violence.

Jean Dubuffet, Mur de Guignols surmonté d’un toit, (1945) et Pisseur au mur (1945), lithographies. Tirages à 20 exemplaires réalisées pour la suite supplémentaire de l’album Les Murs, Coll. Fondation Dubuffet, Paris. Cliché L. Segard, Centre de la Gravure et de l’Image Imprimée, La Louvière.
Jean Dubuffet, Mur de Guignols surmonté d’un toit, (1945) et Pisseur au mur (1945), lithographies. Tirages à 20 exemplaires réalisées pour la suite supplémentaire de l’album Les Murs, Coll. Fondation Dubuffet, Paris. Cliché L. Segard, Centre de la Gravure et de l’Image Imprimée, La Louvière.

Les photographie de Craven

L’un des gros coups de cœur de Jean Dubuffet le preneur d’empreintes est sans conteste les 16 photographies de l’artiste, en milieu naturel, réalisées par John Craven (1912-1981) sous le titre Jean Dubuffet, images en sol majeur (1958/1959). On y découvre des sites autour de Vence, qui seront à la source de sa réalisation, quelques années plus tard, des Phénomènes. Tout comme Dubuffet, John s’intéresse aux éléments de son environnement. Ses photographies sont davantage des recherches – voir même une collection – de textures naturelles capturées en gros plans. Il semble que, dans le même esprit que Dubuffet avec la lithographie, Craven cherche à révéler, cette fois par le médium photographique, les états de la nature. Et, d’une certaine façon, les traces et impressions qu’elle laisse sur nos sols, nos corps et nos esprits. D’ailleurs, ce ne sont pas réellement des photographies de Dubuffet, puisqu’il n’est jamais l’élément central de l’image, l’objet sur lequel l’objectif se serait braqué. Il n’est qu’un élément parmi les autres, un invité et un phénomène, parfois presque invisible, de cette nature qui est, elle, le sujet principal de chaque image.

John Craven, Images en sol majeur, Rencontres Arles 2017 ©Enrevenantdelexpo.com
John Craven, Images en sol majeur, Rencontres Arles 2017 ©Enrevenantdelexpo.com
Anvouaiaje par in ninbesil avec de zimage, 1949. Texte autographique de J. Dubuffet calligraphié sur papier repart avec 9 lithographies réalisées à l’imprimerie Desjobert. Exemplaire n°13/20 sur Rives, Ed. J. Dubuffet, 1960.
Anvouaiaje par in ninbesil avec de zimage, 1949. Texte autographique de J. Dubuffet calligraphié sur papier repart avec 9 lithographies réalisées à l’imprimerie Desjobert. Exemplaire n°13/20 sur Rives, Ed. J. Dubuffet, 1960.

Le petit plus qu’on adore ? Au premier étage, on plonge dans les carnets personnels de l’artiste ; on s’improvise Champollion et on essaie de décrypter écriture et petits schémas qui expliquent et montrent, en détail et très minutieusement, toute sa technique concernant la lithographie ainsi que ses recherches autour de son œuvre. On est fasciné par la découverte de ses cahiers et livres saturés de textes et d’histoires faits d’une langue – d’une écriture phonétique – complètement inventée par l’artiste. On se surprend à essayer de traduire les mots et les récits en les lisant à haute voix (ou presque, sous les masques). À l’origine de cette fabrication d’un nouveau langage, la passion de Dubuffet pour les dialectes touaregs et arabes qu’il découvre (et apprend !) lors de ses voyages sur le continent Africain, notamment dans le Sahara.

Infos pratiques

  • Où ? Centre de la Gravure et de l’Image Imprimée, Rue des amours 10, La Louvière.
  • Quand ? Du 2 juin 2020 au 24 janvier 2021, du mardi au dimanche de 10h à 18h. Profitez des prolongations mais, COVID oblige, n’oubliez pas de réserver en ligne vos billets !
  • Combien ? 8 EUR au tarif plein. Tarifs réduits disponibles.
A propos Louise Segard 11 Articles
Journaliste au Suricate Magazine