« Division Avenue », petite virée chez les hassidiques

Titre : Division Avenue
Autrice : Goldie Goldbloom
Editions : Christian Bourgois
Date de parution : 19 janvier 2023
Genre : Roman

Goldie Goldbloom nous propose un roman à deux facettes : à première vue, c’est une sympathique comédie au sein d’une famille juive new-yorkaise dans le quartier de Division Avenue. Surie et Yidel, un couple de quinquagénaires, sont à la tête d’une petite troupe composée de leurs 10 enfants, 32 petits-enfants et d’un paquet d’arrière-petits-enfants. Le ton est joyeux, l’humour est délicieusement noir et l’esprit de clan omniprésent.

Tout part en sucette pour Surie lorsqu’elle apprend, du haut de ses 57 ans qu’elle est enceinte de jumeaux. Une grossesse à un âge avancé n’est certes pas une chose facile à gérer mais encore moins lorsqu’on est juive hassidique. En effet, un tas de problèmes viennent polluer l’esprit de la future maman : annoncer sa grossesse à la communauté reviendrait à dévoiler qu’elle et son mari ont encore des relations sexuelles alors que la principale mission de Surie en terme de descendance a été réussie haut la main. Sans compter que le sujet du désir sexuel d’une arrière-grand-mère est évidemment banni des repas de familles convenables.

C’est pourquoi Surie va choisir de mentir, par omission dirons-nous, à ses enfants mais aussi à Yidel. L’âge, les grossesses et l’obésité constituent un camouflage plus que parfait pour lui permettre de gruger les siens. Face à une situation aussi imprévisible qu’inconfortable, Surie ne peut se tourner que vers sa sage-femme qui tente par tous les moyens de la convaincre de parler à ses proches. La famille ayant un lourd passif de secrets et de non-dits, la tâche ne va pas s’avérer simple…

C’est à ce moment que le récit prend une autre tournure et vire au roman engagé. En effet, Goldie Goldbloom n’y va pas avec des pincettes pour dénoncer les dérives des communautés ultra orthodoxes. Les réactions homophobes de certains personnages sont franchement brutales et choquantes, mais les comportements culturels du quotidien, qui piétinent allègrement le féminisme comme s’il s’agissait d’un vieux paillasson, font bien sûr tout autant de ravages. En effet, dites à une femme de se raser la tête régulièrement et de se tenir loin des études, maintenez-la dans l’ignorance de la sexualité tout en exigeant des performances de bonne épouse -et pas seulement aux fourneaux- lors de son mariage arrangé, et voyez ce que ça donne. Quant à l’IVG, n’en parlons même pas ! Pas géniales les perspectives.

Heureusement, Yidel, contrairement à beaucoup d’hommes de Division Avenue, est un mari aimant, agréable et serviable. Du moins, c’est ainsi que Surie se le représente. Mais dès que la situation sort des sentiers battus et ne rentre plus dans les cases, ce n’est plus la même personne. Le côté « Mister Hyde » de son époux peut réellement faire froid dans le dos.

Dans un récit parsemé de révélations familiales, Goldie Goldbloom donne des clés au lecteur pour comprendre peu à peu le silence de Surie sur sa grossesse, silence qui au départ peut paraître irritant, et lui permettre par la même occasion de se représenter les contraintes et les enjeux quotidiens qui pèsent sur les épaules des femmes hassidiques.