« Dans la maison », étrange documentaire sur une femme immigrée

Dans la maison
de Karima Saïdi
Documentaire
Sorti le 23 juin 2021

Après des années de séparation,  la cinéaste Karima Saïdi renoue avec sa mère, Aïcha, aujourd’hui atteinte d’Alzheimer. De Bruxelles à Tanger, elles retracent l’odyssée d’une famille marquée par l’exil. On rentre totalement dans leur intimité​, ce qui provoque un sentiment assez troublant de mélange d’impudeur et de voyeurisme, face à un film qui rassemble des images normalement réservées au cadre familial. 

« Dans la maison » donne à voir, de l’intérieur d’une famille, comment a été vécue l’immigration marocaine en Belgique. Aïcha a quitté le Maroc en 1967 pour s’installer à Bruxelles. De sa vie dans une ruelle de Tanger à son appartement bruxellois, le film met progressivement en lumière une existence tiraillée entre le respect de la tradition et une émancipation fragile, où se succèdent mariages, séparations et deuils. Le film est basé sur les mots que la cinéaste échange avec sa mère, atteinte d’Alzheimer, durant les dernières semaines de celle-ci. Parfois chuchotée, d’autres fois pleinement assumée, cette conversation permet de démêler le voyage d’une femme dont les choix de vie, qu’ils soient forcés ou délibérés, l’ont amenée à de multiples exils.

L’immigration marocaine en Belgique vue par une femme

La mère est ici le personnage central, elle qui s’est retrouvée toute jeune abandonnée par son mari avec ses trois enfants sur les bras. Le père n’est que très brièvement évoqué, comme les autres hommes. Sa fille la soumet à un interrogatoire qui peut sembler sans répit au spectateur, tant les questions se succèdent (et parfois se ré​pètent) : comment était-ce pour une femme divorcée de vivre dans une communauté marocaine dans les années 60 ? Pourquoi les femmes n’ont-elles pas le droit d’enterrer leurs frères ? Une femme sait-elle comment guérir son mari ? Qui suis-je ? Outre le rapport au temps et à la mémoire familiale, ce documentaire très personnel met en lumière des thématiques actuelles, comme l’intégration ou l’intersectionnalité. La relation avec le Maroc ainsi qu’avec ses normes sociales et sa communauté est un des enjeux les plus intéressants du film et apparait par moment dans tous ces paradoxes. Aïcha déclare ainsi : « Les Occidentaux sont plus respectueux. Les Marocains trouvent toujours de quoi se plaindre. » Mais quand sa fille lui demande si elle préfère être avec des occidentaux ou Marocains, elle choisit ces derniers.

Un film construit sur les images d’archives familiales

Le visage d’Aïcha n’apparaît pour la première fois qu’au bout de cinq longues minutes, sur une photo presque floue, comme mal montée. Et ce n’est qu’au bout d’une heure que la mère devient une image en mouvement, s’adressant à nous avec un regard qui oscille entre l’abîme et la lucidité. Autour des portraits majoritairement photographiques, le film déploie une large palette de photos et vidéos des archives familiales. Au cours de leurs conversations, Aïcha et Karima dévoilent les non-dits incrustés dans ces souvenirs. Grâce à un montage rapide d’images fixes, Aïcha semble être sur le point de commencer à bouger. Mais elle ne devient jamais une image en mouvement ce qui sera franchement déconcertant pour certains spectateurs. Le rythme est très lent et saccadé, s’apparentant au visionnage d’un film familial.

Ce film sonne comme une note de remerciement de Karima Saïdi envers sa mère et la Belgique. Le fait que la mère ne soit plus tout fait à même d’exprimer son consentement interroge forcément le spectateur : aurait-elle accepté un tel déballage en pleine possession de ses moyens ? Était-elle consciente que son récit deviendrait public ? Dans la maison est un bien étrange documentaire, qui plaira plus particulièrement aux adeptes de sociologie et d’histoire. D’autres resteront perplexes face à cet essai qui donne à voir la vieillesse et l’effacement de la mémoire à la fin de la vie d’une mère malade.