Contes et légendes de Joël Pommerat au Théâtre National

© Elizabeth Carecchio

Création de Joël Pommerat. Avec Prescillia Amany Kouamé, Jean-Edouard Bodziak, Elsa Bouchain, Lena Dia, Angélique Flaugère, Lucie Grunstein, Lucie Guien, Juliet Doucet, Marion Levesque, Angeline Pelandakis, Lenni Prézelin. Jusqu’au 21 novembre au Théâtre National.

Contes et légendes est une création théâtrale de Joël Pommerat créée début 2020. Suspendue à cause de la pandémie, la pièce revoit le jour après un an d’arrêt pour le grand plaisir du public du Théâtre National.

La troupe crée, à l’aide de lumières, de décors, et de costumes sobres et épurés, un univers immersif qui nous plonge rapidement dans un nouveau cadre spatio-temporel. Le jeu des acteurs qui balancent entre un hyper-réalisme et la caricature, pousse le spectateur à se demander ce qu’il voit. S’il doit “croire” en cette réalité, et comment il doit interpréter les informations. Il n’y a d’ailleurs pas de narration concrète, les nouvelles défilent et les personnages interprètent différentes situations. Ils incarnent des entités qui se baladent d’une histoire à l’autre.

Contes et légendes est une histoire d’enfants. D’enfants qui tentent d’échapper à une réalité et des adultes souvent restrictifs. Cette comptine noir aux airs de satire se déroule au rythme de l’insouciance et de la violence de ces enfants. Comment se construire face aux modèles qu’on nous présente ?  Qui suis-je ? Qu’est ce que je veux ? Alors qu’on choisit souvent pour eux, l’enfance de tous les possibles est très vite étouffée. L’innocence laisse place à la désillusion. A travers des adultes défaillants, ces enfants cherchent à se construire. Dans la résistance de ce qu’on leur inculque, ils désirent la liberté et font preuve d’anticonformisme. Les questions de genres et d’identité sont au cœur de leurs préoccupations. 

Face à ces enfants en pleine construction et déconstruction, une entité apparaît : celle du robot. Il apparaît comme une manière de mettre en lumière le comportement humain, sa solitude, ses défaillances mais aussi sa capacité d’empathie et d’amour.  Alors qu’ils cherchent ardemment à aimer et être aimés, ces nouvelles technologies leurs permettent cette illusion. L’illusion est-elle réellement négative ? Ce que l’on ressent doit-il toujours s’oublier au profit de ce qui existe concrètement ? La réalité nous façonne à un âge où l’on veut la façonner. 

Ces personnages artificiels semblent tendre un miroir à ces hommes qui se démènent pour exister. Ils sont leur reflet ironique, créé à leur image, prêt à leurs dévoiler toute les vérités avec une facilité déconcertante. Cette nouvelle génération, baignée dans les technologies, comprend souvent leur fonctionnement mieux que leurs parents. Comment les éduquer avec ce que l’on ne connaît pas ? Mais ce sont aussi ces mêmes enfants, dans un désir de vie brûlante, qui rejettent cette technologie quand elle en vient à remplacer l’humain.

Ce qui laissera le spectateur bouche bée sera de découvrir que ces jeunes adolescents garçons sont en vérité interprétés par des femmes adultes âgées entre 26 ans et 32 ans. Le leur ne s’arrête pas là, nous apprenons à la fin de la pièce qu’une des actrices était enceinte de huit mois. Découvrir ces actrices derrière ces personnages est un retournement de situation inédit. Il remet la pièce en perspective et nous pose de réelles questions sur notre regard, et sur les codes appris.

Interpréter ces jeunes garçons est un défi de taille et chaque actrice en a sa propre expérience. L’une des actrices prend l’image de “pénétrer” l’espace, c’est à dire d’être plus directe, rentrer dans l’espace, plutôt que se laisser aspirer par celui-ci. Tandis que pour une autre, les différences étaient plus minimes, pointant ainsi que le genre est finalement une construction sociale. En l’occurrence ici, ce sont des petits détails qui créent l’illusion : mimiques, démarches et vêtements suffisent.

Cela questionne alors surtout le regard du spectateur qui projette très rapidement à partir de quelques codes posés au départ. Et lorsqu’une actrice qui joue un garçon, reprend le rôle d’une femme, ce n’est qu’un déguisement à nos yeux. Cette mascarade jouée par ces actrices résonne avec notre quotidien et tous ces codes auxquels on s’adonne par habitudes ou diktats, ou encore à l’image de certains mouvements florissants comme le masculinisme.

Contes et légendes retournent aux essentiels du théâtre. Manipuler le faux, faire croire à ce qui n’est pas, manier l’imaginaire et transporter son spectateur dans une autre réalité sans qu’il le sache. A travers ce tour de maître, le cri de vie de ces adolescents déchire une époque manquant souvent de liberté, où les rêves n’ont plus leurs places.

A propos Luna Luz Deshayes 29 Articles
Journaliste du Suricate Magazine