« C’est bien une idée de fille ! », le genre de l’innovation

Titre : C’est bien une idée de fille !
Autrice : Katrine Marçal
Editions : Autrement
Date de parution : 13 octobre 2021
Genre : Essai

Après s’être demandée en 2012 qui avait cuisiné le souper d’Adam Smith, le père du libéralisme (spoiler : sa mère, invisibilisée), Katrin Marçal, écrivaine et journaliste suédoise revient en 2021 avec la constatation suivante : l’innovation ne se conjugue qu’au masculin et se prive au passage d’une grande richesse.

« C’est bien une idée de fille ! » paraît inoffensif de prime abord : un titre simplifié, pour remplacer l’original, plus complexe, Mother of Invention : How Good Ideas Get Ignored in an Economy Built for Men, et une couverture digne d’un ouvrage de développement personnel conventionnel. Le propos commence doucement lui aussi. Katrine Marçal nous parle d’abord des inventions et technologies dont l’avènement a été retardé par des conventions genrées : la valise à roulettes qui a mis du temps à s’imposer car un homme, un vrai, porte sa valise ; la voiture électrique qui, au commencement de l’automobile, était un produit de niche pour le public féminin, tandis que le modèle à combustion s’érigeait un symbole masculin, car il fallait de la force pour tourner la manivelle de démarrage.

Toutefois, l’énumération d’anecdotes piquantes se densifie rapidement et l’ironie cède à un style plus sérieux. « La tragédie du patriarcat est d’avoir pris l’expérience humaine et de l’avoir divisée en deux ». L’humanité, en étouffant, refusant, diminuant, retardant et dévaluant la participation des femmes (et d’autres minorités) à l’innovation et à la technologie, s’est privée et se prive encore de solutions innovantes et alternatives. « Il n’y a rien à reprocher aux hommes en tant que tels, mais il y a quelque chose qui cloche dans un système qui claque la porte au nez des femmes ».

A force de ne voir le progrès qu’à travers des valeurs (dites) masculines et technocratiques, le monde n’évolue que dans une seule direction et repose encore trop souvent sur l’exploitation des travailleurs et de la nature. Marçal, familière du monde économique, explique en quoi le système financier sous-tend et soutient ce progrès monolithique en ne finançant que les hommes : 97% du capital-risque dans le monde, qui permet la prise de risque pour innover –  va aux hommes. Ce sont eux qui, avec ce pouvoir, décident la façon dont nous vivrons, nous déplacerons et nous occuperons. Or, pour Marçal, il y a urgence à intégrer plus de diversité dans l’innovation et la façon dont nous l’utilisons, afin que le progrès soit réellement au service de l’humain et pas à sa place.

À force d’exemple et d’anecdotes historiques fascinantes, Marçal souligne tout ce qu’il y a à gagner en rassemblant ce que nous considérons traditionnellement comme masculin et féminin. Elle raconte ainsi comment des couturières de sous-vêtements qui, soutenues par leur entreprise gérée par un homme, ont produit le meilleur équipement pour aller sur la lune mais cela, seulement après avoir passé des années à convaincre les ingénieurs (masculins) de la NASA.

L’autrice insiste sur l’urgence qu’il y a à revoir notre copie patriarcale pour plus d’inclusion, car nous entrons de plus en plus dans la crise climatique qui appelle des solutions innovantes autres que la construction de technologies de substitution. De façon plus générale, elle invite à réévaluer ce qu’est l’histoire du progrès à l’aune de toute l’humanité, les femmes y compris, afin de réellement, progresser. « On pourrait dire que nous avons inventé avec une seule main, l’autre étant attachée dans le dos. Imaginez seulement ce que nous pourrions réaliser si nous coupions cette corde ! »