Beautiful Boy, les conventions de l’addiction

Beautiful Boy
de Felix Van Groeningen
Drame
Avec Steve Carell, Timothée Chalamet, Maura Tierney
Sorti le 21 novembre 2018

À regarder la production hollywoodienne de ces dernières décennies, il semble que deux types de films sur l’addiction existent : ceux qui s’abandonnent à l’hédonisme et/ou au cauchemar de leur drogue de choix (Requiem for a Dream, Trainspotting), et ceux, plus académiques, qui mettent en exergue les douleurs et les difficultés quotidiennes de l’addiction, souvent au travers de scènes émotionnellement très chargées (The Basketball Diaries). Nous faisant le récit d’un père de famille qui voit son fils chéri tomber dans l’enfer de la méthamphétamine, Beautiful Boy se range assez clairement dans cette deuxième catégorie. Il fait partie de ces films basés sur une histoire vraie au sujet desquels on parle Oscars dès leur entrée en production, et dont les acteurs pourront très certainement prétendre à l’une ou l’autre statuette dans les mois à venir.

Ce ne sera pas démérité, puisque c’est dans son casting que le long-métrage frappe le plus fort — à commencer par Steve Carell, qui trouve ici un de ses meilleurs rôles dramatiques. Au contraire d’un film comme Foxcatcher qui le voit métamorphosé au point de ne plus être reconnaissable, Beautiful Boy fait appel à l’acteur affectueux et drôle qu’on a pu observer dans de nombreux films et interviews  : une personne à l’image avenante et assez sympathique. Il est facile de s’identifier à son personnage de père aimant et de se prendre d’amitié pour lui. Ce qui signifie qu’il est encore plus aisé d’être touché par la tournure tragique que prend son existence.

Nouveau wonder-boy à Hollywood, Timothée Chalamet bénéficie également de cette confusion avec son image publique. De prime abord, son personnage n’est guère différent de ceux qu’on a pu le voir interpréter dans Call Me By Your Name ou Lady Bird  : il incarne Nic, un jeune homme sensible et artistique de la classe moyenne. Mais le chouchou d’Hollywood a vite fait de passer de l’expérimentation aux drogues à une addiction dévastatrice, et ce qu’il fait avec le rôle mérite d’être salué. L’évidence aurait été de s’appuyer sur de lourdes scènes émotionnelles, où les larmes coulent à flots. Ces séquences existent bien sûr, mais ce sont dans les moments où le personnage cache son ressenti que l’acteur impressionne le plus, laissant deviner une vie intérieure qu’on imagine déchirante.

C’est Felix Van Groeningen (The Broken Circle Breakdown) qui assure la réalisation du film, marquant sa première incursion à Hollywood. Par-ci, par-là, on reconnaît quelques traces de ce qui fait le sel du cinéaste belge, mais dans l’ensemble sa mise en scène (tout à fait convenable) est sans aspérités. Comme tant d’autres productions du genre, le fait qu’un réalisateur peu conventionnel soit derrière la caméra ne change pas grand-chose  : le film se terminera toujours par quelques statistiques sur un fond noir.

La principale originalité du long-métrage réside dans son montage éclaté. Alternant entre un passé nostalgique aux images granulées, un présent éprouvant et un futur plein d’espoir, le film mêle les époques sans arrêt au point de provoquer quelques confusions  : est-ce qu’il s’agit d’un flash-back ou du moment présent ? Difficile de ressentir l’impact émotionnel de certaines scènes si l’on hésite quant à leur temporalité.

Cette confusion est également renforcée par la structure très répétitive du film. À plusieurs occasions, Nic parvient à vivre sans drogue, suggérant qu’on se dirige vers une issue heureuse… pour mieux nous fendre le cœur lorsqu’il replonge. C’est quelque peu perturbant pour le spectateur, voire même même aliénant, mais c’est aussi un choix qui porte en lui une certaine justesse. Cette répétition fait souvent partie du processus chez les toxicomanes.

Sous ses devantures de « film à sujet » (dont il ne se débarrasse jamais vraiment), Beautiful Boy comprend l’addiction avec plus d’acuité que la plupart des films portant sur le sujet. Il reconnaît l’épreuve pratiquement insurmontable que peut être la sobriété quand on est tombé dans la dépendance. Il reconnaît la monotonie et l’ennui qui l’accompagnent. Et il reconnaît comment la meilleure volonté du monde et une éducation irréprochable ne suffisent pas toujours à éloigner les démons. C’est sur ce terrain-là — celui de son propos — qu’on se souviendra le mieux du film, plus qu’en temps qu’objet cinématographique.

A propos Adrien Corbeel 46 Articles
Journaliste du Suricate Magazine

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