« Atlas des esclavages », tout découvrir sur un sujet brûlant

Titre : Atlas des esclavages, de l’antiquité à nos jours
Auteurs : Marcel Dorigny et Bernard Gainot
Editions : Autrement 
Date de parution : 21 janvier 2022
Genre : Atlas, Histoire

L’esclavage est un sujet qui fâche et à juste titre : comment des hommes ont pu ainsi chosifier d’autres hommes ? Aujourd’hui encore, près de 41 millions de personnes seraient victimes d’esclavage dans le monde selon l’Organisation Internationale du Travail. Les filles et les femmes représenteraient plus de 70 % des victimes de l’esclavage actuel : qu’il soit domestique, lié au travail forcé ou du fait de la traite des êtres humains. L’atlas des esclavages se penche sur ce fait constitutif des sociétés humaines de l’antiquité à nos jours où l’esclavagisme fait encore de trop nombreuses victimes.

Illustré de 150 cartes, cet Atlas des esclavages est divisé en quatre grandes parties : les esclavages avant les grandes découvertes, les traites légales, les sociétés esclavagistes et les abolitions. Il est pensé comme une synthèse des connaissances historiques sur les pratiques esclavagistes et les mouvements abolitionnistes.  Ses auteurs, Marcel Dorigny et Bernard Gainot, sont des historiens qui ont dédié leurs vies à l’étude de l’esclavage et de l’histoire moderne.

L’Europe négrière et l’offre africaine

Penchons-nous tout d’abord sur le cas de l’Afrique dont l’histoire reste fortement marquée par l’esclavage. La traite interne existait bien avant la période coloniale, dans le sillage de la guerre et du commerce caravanier. Les guerres omniprésentes faisaient de nombreux captifs dont une bonne partie devait travailler au service du souverain comme domestique, soldat ou main d’œuvre sur les domaines agricoles.

Pendant les quatre siècles d’existence de la traite négrière transatlantique, la demande européenne en esclaves fut totalement liée à l’offre africaine. Alors que les états européens finançaient, les états africains étaient responsables de la capture et de la survie des esclaves jusqu’à leur embarquement. Sur fond de guerre permanente, les états européens pouvaient ainsi acheter les esclaves en fournissant notamment des armes.

Ainsi les auteurs indiquent que : « les Etats musulmans du Mali, du Songhai et les Etats Haoussas, qui se développent entre le Xè et le XVè siècles, étaient des états guerriers dont la puissance reposait sur la capture de gens ultérieurement asservis, partiellement distribués entre les grandes familles nobles, éventuellement revendus à des traitants arabes ».

Si les Européens n’ont pas inventé l’esclavage, force est de constater que la colonisation du nouveau monde marqua une rupture quantitative avec le déplacement forcé de 12 à 15 millions de personnes. Alors que toutes les puissances maritimes de l’Europe participèrent à la traite négrière, quatre pays assurèrent 90% de l’ensemble de la traite Atlantique. On découvre ici le rôle prépondérant du Portugal qui a, à lui seul, transporté plus du tiers des captifs (4,6 millions de personnes) en majeure partie à destination du Brésil. L’Angleterre transporta 2.6 millions de personnes, l’Espagne 1.6 millions et la France 1.25 millions.  Alors que 4 millions d’esclaves furent envoyés au Brésil, seuls 500 000 arrivèrent aux Etats-Unis.

Une lente marche vers l’abolition des sociétés esclavagistes

Une citation du professeur d’histoire Joseph Inikori indique que l’économie de traite a « fourni certains éléments d’accumulation du capital » ainsi qu’un réseau puissant d’intérêt dans l’Europe négrière. Jusqu’au début du XIXème siècle et malgré des critiques de plus en plus véhémentes, aucune des nations ne porta la moindre restriction à ce commerce particulier et la Révolution française ne prit aucune mesure contre la traite.

Les colonies esclavagistes sont fondées sur l’exploitation et l’exportation des denrées à destination de la métropole : sucre, café, tabac, etc…  Des aliments dont il convient d’ailleurs, de nos jours, de nous déshabituer afin de préserver notre santé !

Selon les auteurs, « la contestation de l’esclavage au croisement du christianisme évangélique et de la pensée des lumières au milieu du XVIIIème siècle » va ouvrir la voie à des révoltes chroniques puis à l’abolition au cours du XIXème siècle. Les abolitions furent soit le résultat d’insurrection comme à Haïti, soit graduelle (modèle anglais) ou immédiate comme en France en 1848, ou encore tardive comme ce fut le cas aux Etats-Unis (1865) ou au Brésil (1886). Pour pallier au manque de main-d’œuvre suite à l’abolition, les planteurs firent appel aux engagés, ce qui permit de faire venir des Africains libres, ainsi que des Chinois et Indiens. Plus de 500 000 Indiens furent introduits dans les Antilles et la Guyane franco-anglaise.

De l’abolition à la colonisation et à l’esclavage moderne

Selon les auteurs, « pour les états négriers africains, la disparation progressive de la traite, source de revenus et de puissance, les affaiblit et ouvrit la voie à la pénétration européenne ». Dans un tour de passe-passe, la colonisation se mit progressivement en place suite à l’abolition de l’esclavage. Et d’ailleurs, la répression intra-africaine de l’esclavage fut utilisée comme un des arguments de l’œuvre civilisationnelle des nouveaux colonisateurs…

De nos jours, le travail et les mariages forcés sont les formes les plus fréquentes de l’esclavage et sévissent plus particulièrement en Asie du Sud-Est, qui compterait 25 millions d’esclaves soit 62% des esclaves au niveau mondial. L’Inde, Chine, le Pakistan et la Corée du Nord détiendraient le triste record du nombre le plus élevé d’esclaves sur leur territoire. L’ouvrage se conclut par la question des mémoires sur ce passé douloureux, thématiques au cœur de nombreux débats contemporains.