Titre : A la rencontre du poulpe
Auteur.ice : Ludovic Dickel
Edition: Alpha / Humensis
Date de parution : 19 mars 2025
Genre du livre : Essai
Peut-on encore ignorer que l’intelligence animale dépasse les frontières du familier ? Avec À la rencontre du poulpe, le neurobiologiste Ludovic Dickel propose bien plus qu’un simple essai scientifique : une plongée sensible, troublante et poétiquement subversive dans le monde méconnu d’un animal à la fois étrange, gracieux et, contre toute attente… intelligent.
Un mollusque aux mille neurones (et une bonne dose de mystère)
Dès les premières pages, Dickel parvient à captiver en nous confrontant à un paradoxe fascinant : comment un animal sans squelette, au corps mou et fluide, peut-il déployer des comportements complexes, voire des signes de conscience ?
Le poulpe devient alors le fil rouge d’une exploration rigoureuse mais accessible de la cognition animale. On y découvre une intelligence non centralisée, presque distribuée. En effet, le poulpe n’a pas un cerveau comme le nôtre : il a un système nerveux réparti, avec des neurones jusque dans ses bras. Chaque tentacule peut presque agir indépendamment… ce qui rend leur comportement incroyablement fluide et complexe. Ils peuvent, par exemple, ouvrir des bocaux, manipuler des objets, apprendre par observation… parfois mieux que certains vertébrés. Il possède également une mémoire à long terme, une capacité d’apprentissage par conditionnement, et même des comportements exploratoires.
Mais ce que l’auteur nous offre, au-delà des faits et des expériences, c’est une mise en crise de notre propre conception de l’intelligence. Car le poulpe ne rentre dans aucune de nos cases : ni mammifère, ni vertébré, ni social, il incarne une forme d’esprit non-humaine, mais indéniablement présente. Et c’est là que le livre prend toute sa dimension philosophique : en invitant à décentrer notre regard, Dickel nous pousse à reconsidérer notre place dans l’arbre du vivant — non pas au sommet, mais parmi les autres, différents, légitimes eux aussi.
Entre rigueur et émotions
Le style de Dickel reste clair, didactique et accessible au grand public, sans sacrifier la rigueur scientifique. Avec humour, bonne humeur et intelligence, l’auteur réussit à vulgariser sans simplifier, et à faire émerger une vision intégrative de l’animal, à la fois biologique, cognitive et relationnelle.
Les anecdotes rendent le propos vivant, parfois même attendrissant. On y ressent une tendresse retenue, une admiration lucide lorsqu’il raconte sa relation personnelle avec les poulpes qu’il a étudiés. On sent un vrai respect, une sorte de lien éthique et affectif, qui le pousse à repenser la manière dont on traite ces animaux en science. Il aborde aussi la question du ressenti émotionnel. Les poulpes semblent capables de stress, de préférences, voire de formes rudimentaires d’attachement ou d’évitement social.
Le livre est traversé d’une question vertigineuse : que signifie comprendre une autre forme d’intelligence sans la réduire à la nôtre ? Le poulpe devient alors miroir et mystère, révélateur de nos limites cognitives, de notre solitude d’espèce parfois trop sûre d’elle-même. L’ouvrage devient alors une méditation sur le lien entre l’humain et le non-humain, un plaidoyer discret mais puissant pour une science éthique, humble et ouverte à l’inconnu. L’auteur milite d’ailleurs pour une reconnaissance éthique du poulpe comme être sensible, ce qui rejoint les débats actuels sur la sentience animale.
À la rencontre du poulpe est un ouvrage hybride, à la frontière de la vulgarisation scientifique, de l’essai philosophique et du récit personnel. Il ne se contente pas de faire connaître un animal fascinant : il invite à une révolution intérieure, à une redéfinition de l’intelligence, de la sensibilité, et de notre rapport au vivant. Un livre nécessaire, lucide et profondément humain. À lire pour réapprendre à regarder le monde avec des yeux neufs.