Titre : Objets perdus
Auteur.ice : Karla Suarez
Edition: Métailié
Date de parution : 06 juin 2025
Genre du livre : Roman
Karla Suárez nous propose une histoire folle et pourtant connue de tout un chacun : imaginez-vous dans une grande ville d’un pays que vous connaissez mais dont vous n’êtes pas originaire. Là-bas, on vous vole votre sac, votre téléphone et vos objets intimes. Vous étiez accompagné.e, mais vous décidez de courir, sur un coup de tête, après le possible voleur. Vous vous égarez, sans jamais retrouver votre sac. Vous vous retrouvez seule, avec très peu d’argent, sans personne de contact.
Alors, vous me direz, il suffirait de demander à quelqu’un d’utiliser son téléphone pour aller sur une adresse de messagerie et contacter un.e ami.e par internet. Avons-nous vraiment encore la possibilité de nous perdre, dans une ville digne d’une capitale, en 2025 ? C’est le choix que fait Suárez, née en 1969, pour son héroïne, Giselle, paumée à Barcelone. Elle ne se résout pas à l’informatique mais décide de danser, car la danse, c’est la vie. Elle décide de danser, mais pas n’importe où, devant la Sagrada Familia, à côté du joueur de castagnettes, là où Raviel, son meilleur ami, lui avait dit qu’il habitait, pense-t-elle se rappeler.
Fuyant son monde, fuyant sa vie, Giselle décide de faire un pas de côté. De mettre son histoire entre parenthèses pour, sur le trottoir, faire ce qu’elle a toujours fait, danser. Et quand elle ne danse pas, elle dormira dans les parcs de Barcelone, se nourrira chichement grâce à l’argent récolté, se rendra aux toilettes de la bibliothèque publique, et nous racontera son histoire en démarrant par ses souvenirs de ces objets perdus, ceux qui se trouvaient dans le sac, ce qui parlera à toute personne ayant déjà perdu ou failli perdre des photographies ou des objets, à priori banals mais qui lui étaient chers.
Objets perdus, comme son nom l’indique bien, c’est aussi le nom de cette salle qui permet de retrouver son sac oublié dans le train ou son chapeau dans le bus. Giselle n’a cependant pas beaucoup d’illusions. Elle ne retrouvera pas son sac et ses cinq bracelets qui, tous les jours, lui entouraient le bras et qu’exceptionnellement, elle n’avait pas pris le temps de remettre, suite à une dispute avec son copain Javi. Par l’entremise de ces objets, nous découvrirons son enfance et sa naissance à Cuba, fille mal aimée de parents qui auraient voulu qu’elle soit médecin, et non danseuse. Elle nous révélera ensuite un secret, celui qui peut-être la pousse à danser et sortir de sa vie un moment, pour regarder sa mer intérieure et prendre une décision.
Ce qui la contraint aussi à ce geste, c’est la découverte d’un portefeuille, celui de Gérard. Gérard, elle ne le connaît pas, mais un attrait non justifiable pour sa personne la pousse à aller à sa rencontre. Peu de temps avant de se perdre à Barcelone, alors qu’elle passe des vacances avec Javi et sa famille à lui, dans une villa, Giselle trouve dans un tiroir ce portefeuille avec une lettre d’excuses écrite par Gérard pour sa fille ainsi que plusieurs photos. Ces informations remuant des choses très profondes, des choses qu’elle n’a quasiment jamais osé dire à personne (sauf à Javi, ce qui provoqua une dispute et par la suite, le vol de son sac), elle se servira de Gérard comme d’une boussole et d’une luciole, lui parlant pour essayer de retrouver son chemin, elle qui se sent liée à cet homme inconnu de par sa vie passée.
Objets perdus, c’est un très beau roman, comme vous le comprenez bien, qui parle de nombreux sujets de manière cohérente et avec des mots limpides. La narratrice se raconte, décrit ces deux ou trois jours à Barcelone, le temps d’avant, ces petits objets qu’on porte autour du cou et qui nous sont uniques, la poursuite de ses rêves de danseuse malgré la désillusion, la réalité qui frappe alors qu’elle se projetait comme une grande artiste, souhaitant justifier à ses parents que sa vie entière tournée vers la danse ne fut pas vaine. Un point à noter, s’il fallait trouver un défaut au livre, serait le fait du traducteur et non de l’écrivaine. René Solis s’est senti obligé de traduire « la verdad » ou une expression similaire hispanique par « la vérité vraie », qu’il parsème dans tout le roman, alors que cette expression n’est pas française ou ne fait pas toujours sens et qu’on avait bien compris que l’histoire originale se déroulait en langue espagnole.
Giselle raconte donc son histoire sans délire misanthropique ou tristesse rance : elle se réjouit de retrouver Raviel, et on espère de tout cœur qu’elle le retrouvera bientôt quand on la voit peiner sous le soleil catalan. Sans être naïve, son côté candide et son absence de cynisme rendent la lecture très plaisante et fait de cette Giselle une des plus belles héroïnes littéraires de 2025, attachante et tellement réelle, dans sa recherche de vérité. Une femme qui s’accroche malgré les embûches et l’absence d’amour parental, qui ose aller contre, suivre ses désirs. Une femme qui se perd volontairement pour mieux se retrouver.