« Yannick », simple amateur

Yannick
de Quentin Dupieux
Comédie
Avec Raphaël Quenard, Pio Marmaï, Blanche Gardin
Sortie le 13 septembre 2023

Depuis le NonFilm, son premier essai cinématographique réalisé en 2001, chaque œuvre de Quentin Dupieux se donne à la fois comme un film en même temps qu’un commentaire sur lui-même. Yannick, modeste long-métrage qui nous prend par surprise (le tournage s’est déroulé dans le secret et en seulement six jours, avant d’atterrir très rapidement sur nos écrans), nous plonge ainsi directement en territoire dupieusien : le film s’ouvre sur une pièce de théâtre filmée depuis l’orchestre, comme une mise en abyme de notre position de spectateur.ice. Un incipit annonçant le programme du cinéaste, à savoir représenter la scène de théâtre comme un espace politique régi par des règles, dont il s’attachera à démontrer, avec la malice qui le caractérise, l’arbitraire.

En effet, un élément perturbateur va très vite venir interrompre la médiocrité ronronnante de la comédie de boulevard qui se joue sous nos yeux. Cet élément, c’est Yannick, gardien de nuit ayant posé un jour de congé spécialement pour l’occasion et s’étant avalé l’heure de transport qui le sépare du théâtre parisien. Du public apathique, Yannick se lève et brise un interdit tacite : s’adresser directement aux comédien.ne.s au beau milieu de la représentation pour exprimer son mécontentement quant à la qualité de la pièce, lui qui souhaiterait simplement être diverti et ragaillardi. Par son entremise, Dupieux nous enjoint à questionner la position de surplomb de l’artiste sur son spectateur, et, avec l’humilité qui le caractérise, s’inquiète de ce que son cinéma puisse être vécu comme une prise d’otage. Jamais effrayé par une idée saugrenue, le réalisateur file la métaphore et Yannick de prendre littéralement en otage l’assemblée, exigeant des comédien.ne.s qu’iels jouent pour le public une pièce qu’il écrira sur le champ.

En inversant ainsi les rapports dominants/dominés, Quentin Dupieux revient à un discours qui lui est cher : tout le monde peut faire de l’art. Tenant en horreur le professionnalisme et l’esprit de sérieux, il contemple son personnage d’aspirant écrivain avec une infinie bienveillance, lui qui rappelle à chacun que la position d’auteur relève aussi bien souvent d’un privilège de classe : « moi aussi je peux dessiner une banane et trois abricots sur une table de cuisine si on me donne le temps de glander chez moi ». Soulignons ici le talent de Raphaël Quenard dans ce rôle taillé sur mesure, qui traverse le film avec une assurance, un charisme et une gouaille désormais emblématique, pour croquer un personnage drôle, touchant et plus complexe qu’il n’y paraît (sous l’humour « cool », un horizon réactionnaire pointe discrètement le bout de son nez).

S’il s’était contenté de dérouler son programme habituel d’une révélation  par l’absurde, Yannick aurait pu n’être qu’un bon Dupieux de plus (ce qui est déjà très bien). C’est sans compter sur un dernier acte dans lequel quelque chose de rare dans la filmographie du cinéaste affleure : l’émotion – brute, sincère, sans artifice ni contrepoint humoristique. Elle apparaît après une longue et pénible session d’écriture dont public et comédien.ne.s sont les otages, quand cette nouvelle pièce est finalement jouée et emporte doucement l’adhésion des spectateur.ice.s. On reconnaît alors un peu de Quentin Dupieux lui-même dans le visage de Yannick qui se macule de larmes, ému devant sa création qui prend vie sous ses yeux. Il était venu chercher le divertissement, l’oubli de sa « vie de merde », et trouve dans l’expression créatrice ce dont il avait au fond terriblement besoin : la reconnaissance de son humanité.

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