Witz, la formule magique de la mécanique du rire

Witz
de Martine Doyen
Comédie romantique
Avec Sandrine Blancke, Sam Louwyck, Fiona Gordon, Dominique Abel, Pierre Nisse
Sorti le 10 juillet 2019

Lorsqu’elle est victime d’une lésion cérébrale suite à une chute lors d’un tremblement de terre, Stella, une jeune actrice ayant du mal à joindre les deux bouts, se retrouve dans un état de désensibilisation, devenue incapable, par exemple, de réagir à l’humour. Sur les conseils de sa neurologue, elle entre en contact avec un homme atteint du même syndrome : Frank, un géologue flamand. Quand Frank rencontre Stella, le déclic (Witz !) se fait : il se met presque instantanément à rire. Pour Stella, le chemin sera plus long.

Avec ce troisième long métrage, Martine Doyen (Komma, Hamsters) affirme sa singularité dans le paysage du film d’auteur belge, dont elle est probablement l’une des voix les plus intéressantes. Si l’on ne sait trop comment inscrire le film dans une case ou dans l’autre (comédie, drame, comédie dramatique, comédie romantique ?), c’est précisément car il prend comme « sujet », ou comme fondement, cette interrogation sur le basculement d’un ressenti à un autre : comment quelque chose de dramatique, de sinistre, peut subitement devenir drôle ou vice-versa.

Cette idée est résumée par un dialogue récité par le personnage de la neurologue, qui dit que l’accès à l’humour n’est qu’une histoire de déclic (« Une synapse se connecte à une autre et Witz ! »). Le titre du film est en cela parfait car il sonne comme une onomatopée ou une formule magique mais résume à lui tout seul l’enjeu du film : ce moment insaisissable, abstrait, ou la perception des choses, par un personnage ou par le spectateur, change. Stella incarne par exemple le « Witz » de Frank, elle lui fait changer sa vision des choses. Mais son « Witz » a elle mettra plus longtemps – le film entier – à survenir. De la même manière, le tremblement de terre ou l’explosion – effleurée par les images et le dialogue lors des premières minutes – qui fait changer Stella d’état, est également un « Witz », un déclic qui lance le film.

Le film s’interroge véritablement sur la manière dont ses personnages ressentent les choses et indirectement, interroge celle dont les spectateurs perçoivent les situations exposées. Quand Stella (Sandrine Blancke) surjoue son personnage hystérique de clown triste et cynique, elle est dans une sorte de mécanisme qui peut au choix amuser ou agacer les autres – elle continue par exemple à faire rire Frank, même quand elle est dans cette démonstration de force –, mais qu’elle ne ressent elle-même que de manière mécanique, voire cynique. De là découle donc la question, résumée par la fameuse formule « Witz » : quand est-ce que l’humour dépasse le simple effet mécanique ? Qu’est-ce qui fait que le rire devienne naturel, au-delà du simple phénomène physique et mécanique ?

C’est ce qui découle également des pratiques étranges des deux « médecins » du rire, incarnés par Fiona Gordon et Dominique Abel dans la seconde partie du film. Stella et Frank participent à ces ateliers de thérapie par le rire, lors desquels le rire forcé, comme acte purement mécanique, est censé donner des impulsions de bonheur au cerveau. C’est par la répétition d’un acte mécanique qu’un phénomène aussi abstrait que le bonheur serait abordable. Le but étant de trouver le « rire intérieur », celui qui permettrait de survivre quand plus rien n’est véritablement drôle à l’extérieur. Ce cercle vicieux assez inouï, cette vision de l’humour comme quelque chose de profondément intime, créé par soi, et uniquement possible par des impulsions physiques et mécaniques – des injonctions que l’on se donnerait de trouver drôle ce qui ne l’est a priori pas –, est à la fois l’une des idées les plus belles et les plus perverses du film.

Witz fait donc fonctionner cette dialectique entre la comédie et l’étrangeté, voire le malaise, dans de nombreuses scènes posées comme des situations comiques, mais toujours jouées ou transformées avec une intention un peu différente, légèrement décalée. Dans l’une de ces scènes, Stella, face à la neurologue et son assistante, à beaucoup de mal à trouver drôle l’association entre deux dessins, l’un représentant une pomme, l’autre un ver. Elle n’y voit qu’une allusion à la décrépitude et à la mort. Dans une autre, elle raconte son accident et son état à sa mère, qui se met à rire car elle trouve sa fille ridicule, alors que celle-ci reste dans le premier degré de son malheur personnel. Le film fluctue constamment entre ce qui peut faire rire et ce qui peut faire pleurer, ci qui est drôle et ce qui est malaisant, ce qui amuse et ce qui consterne. À travers cet aspect fluctuant, il pose de vraies questions sur l’humour : l’humour d’une œuvre mais aussi l’humour de ceux qui la reçoivent. En cela, Witz – le mot comme le film – est une parfaite illustration du moment où la drôlerie peut surgir, comme par magie, là où on ne l’attend pas ou plus.