Turist de Ruben Östlund

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Turist (Force Majeure)

de Ruben Östlund

Comédie dramatique

Avec Johannes Bah Kuhnke, Lisa Loven Kongsli, Clara Wettergren, Vincent Wettergren, Kristofer Hivju

Sorti le 28 janvier 2015

Une famille suédoise en vacances dans les Alpes passe une semaine loin des préoccupations du quotidien. Le deuxième jour des vacances, lorsqu’une avalanche s’avance sur la terrasse du restaurant où ils dînent, Ebba se jette sur les enfants et appelle Tomas… Qui part en courant. Le nuage de neige n’a blessé personne et les choses rentrent dans l’ordre quelques minutes. Sauf qu’Ebba ne cesse de revenir sur cette expérience traumatisante dont elle et Tomas ne parviennent pas à avoir une version semblable.

Fan de ski, le suédois Ruben Östlund (Play, Happy Sweden) a planté son histoire aux Arcs, une station des années 60 dédiée aux vacances de la classe moyenne. Il y développe une critique de son sujet et surtout des rôles fantasmés par la société. En effet, Force majeure (d’après le titre original Turist, ou l’atroce Snow Therapy en anglais) s’inspire d’une anecdote à propos d’un couple d’amis du réalisateur. En vacances en Amérique latine, ces derniers se sont retrouvés au milieu d’un échange de tirs et le mari a pris la fuite, laissant femme et enfants. Surprenant ? Des études ont montré que le nombre de survivants lors d’une catastrophe maritime est majoritairement masculin et que les divorces sont légion après des événements bouleversants de ce genre. La légende popularisée par Titanic, « les femmes et les enfants d’abord », cacherait-elle une abominable vérité ?

Dans le film, quand se brise le stéréotype du mâle alpha, c’est la belle image du couple de Tomas (Johannes Bah Kuhnke) et d’Ebba (magnifique Lisa Loven Kongsli) qui se fissure et ultimement, l’image qu’ils ont d’eux-mêmes en tant que conjoint, et en tant qu’homme ou femme. La prise de conscience se fait sous les yeux de leurs enfants (Clara et Vincent Wettergren) qui comprennent instantanément après l’avalanche que le ver est dans le fruit.

Le questionnement d’Ebba et Tomas est inconfortable et à l’occasion délicieusement tourné en ridicule. La scène où Ebba prend Mats et Fanni en otages de leurs problèmes est superbe. Initialement invités à souper, le couple d’amis se transforme en thérapeutes improvisés. Il est magistral de voir Mats, joué par le norvégien Kristofer Hivju (plus connu dans le rôle de Tormund Giantsbane/Fléau d’Ogres dans Game of Thrones), essayer de justifier avec l’inventivité du désespoir le comportement de Tomas. La discussion avec Fanni après leur intervention préfigure celle susceptible d’avoir lieu entre les spectateurs : comment auraient-ils réagi ? D’autres séquences valent également la peine : la virée entre hommes de Mats et Tomas ou le craquage de ce dernier, un passage capable de provoquer sourire, malaise et énervement tout à la fois, devant ce que d’aucuns reconnaîtront comme de la vulnérabilité et d’aucunes comme de la lâcheté (ou vice-versa). Au final, la semaine de ski est une remise en question pour les personnages, mais la structure familiale n’est pas chamboulée. Tout au plus Ebba et Tomas savent-ils désormais « à quoi s’attendre », hors des cadres conventionnels.

Malgré des moments savoureux et des acteurs à la hauteur, Force majeure est en-dessous de son potentiel. L’acidité du propos se dilue dans les nombreux plans-séquences – la marque distinctive de Östlund –, des longueurs et une fin décevante.

À défaut d’être le film décapant annoncé, Force majeure est le tableau piquant d’une société qui se berce encore de stéréotypes et de fausses certitudes.