Théorisation burlesque avec Presque Hamlet

© Mario del Curto

D’après William Shakespeare. Texte de Dan Jemmett et Gilles Privat. Avec Gilles Privat. Le 19 et 20 septembre 2023 du Théâtre des Martyrs au Centre culturel d’Uccle.

Hamlet s’impose en pièce maîtresse dans l’art de la scène et son nom suscite des attentes précises de la part du public. Sommet de la période de gloire de Shakespeare, elle apparaît comme l’évidence du théâtre ; de ce fait, il est délicat de la reprendre sans éviter un certain mimétisme. Dans la salle du centre culturel d’Uccle, Dan Jemett et Gilles Privat prennent une direction innovante, vingt-ans après, en ôtant toute fioriture de la production et en la pigmentant d’une dérision britannique.

Les 70 minutes de spectacle s’étendent sur la base d’une mise en scène simple et efficace : un piano, trois pendants de rideaux rouges et un service à thé. C’est avec ces objets que l’unique acteur devra communiquer, jouer et répéter. Avec la finesse d’un marionnettiste, il manipule agilement chaque élément pour leur donner une voix. Les tasses de thé deviennent le théâtre où Gertrude la Reine veuve épouse Claudius, le rideau se dresse en grande faucheuse moraliste et le piano sert de bar au protagoniste pour boire du whisky avec le spectre. Par-là, le metteur en scène montre que la complexité d’un récit séculaire peut être étudiée avec le minimum matériel. Un contrepoint aux scénographies grandiloquentes qui accompagnent souvent les pièces mythiques : grand orchestre, nombres impressionnants de comédiens, costumes Haute couture d’époque. Ces apparats – certes immersifs – sont ici laissés de côté pour placer notre attention au centre de la pièce comme le texte le précise au début.

Le stand-up typiquement British est un mode d’intervention aussi populaire que risqué, car il repose sur l’énergie d’une seule personne. Gilles Privat mène l’exercice avec brio : il questionne l’acte théâtral sans s’adresser aux érudits, les néophytes en matière shakespearienne pourront aisément suivre la suite de ses réflexions tragi-comiques. Pince sans rire, le comédien à l’art de poser les mots, d’effectuer les mimiques et de converser avec le mobilier sans en faire trop, ainsi il ne laisse jamais le script tomber dans la monotonie ni dans la surenchère. Qu’elle soit celle d’un animiste fou ou d’un pastiche d’acteur, cette posture nous enseigne – à l’aide d’une valise-ardoise et d’un piano-cercueil – une manière détournée de théoriser les classiques. Il n’est pas tant question de se moquer du théâtre traditionnel en dévoilant les éléments factices, mais plutôt d’en tirer les ficelles par facétie.

Les topiques de la folie et de l’emblématique être ou ne pas être sont retraçables tout au long du monologue. La santé mentale d’un individu parlant seul est mise en question. L’est-il vraiment ou est-ce un masque ? La condition humaine et ses grands maux – la mort, le conflit, l’amour – sont citées avec humour et intelligence. Pantomime, marionnettes et jeux de mot appuient le dialogue intérieur et de ce soliloque naît une réflexion universelle. Oui, il est pertinent de rejouer Hamlet, car son écho est atemporel et permet à des réalisateurs créatifs d’instrumentaliser le script de façon déjanté, tragique ou muette selon leur goût.  Pourquoi chercher ailleurs que dans le texte l’essence même de ce dernier ?