“The Whale”, corporalité tragique et résilience littéraire

The Whale
de Darren Aronofsky
Drame
Avec Brendan Fraser, Sadie Sink, Ty Simpkins
Sorti le 8 mars 2023

The Whale est le dernier film de Darren Aronofsky, réalisateur américain de Mother (2017) et Black Swan (2010). Cette production, tirée d’une pièce de théâtre de Samuel D. Hunter, met en scène des personnages tourmentés à l’historique sentimental sinistre dans une ambiance poisseuse ; un style propre à ce maître du septième art qui nous amène direction l’Idaho dont nous ne verrons pas grand-chose préférant le huis-clos au grand espace.

Le film s’ouvre sur une scène singulière : dans un appartement un homme, Brendan Fraser Charlie, se masturbe sur une vidéo gay. Son regard gris délavé se charge de stupeur lorsqu’on frappe à sa porte et qu’un jeune homme élégant interrompt ce plaisir solitaire. Il s’agit en fait d’un prêcheur qui entend aider les gens sous l’égide de Nouvelle Vie, une école spirituelle que Charlie connaît bien puisque son défunt compagnon y a adhéré. Son infirmière et amie, Liz, avec qui il a partagé la souffrance du deuil, est sceptique quant aux bonnes intentions de quiconque franchit le palier, pragmatique et scientifique dans l’âme, c’est elle qui entend le sauver. Par la suite, la guérison ne se présenta plus comme un salut, mais comme une illusion, dès lors, le cheminement, la résilience et le développement personnel se font fils rouges du film.

Le personnage hybride, homme-baleine au grimage impressionnant, a de multiples appendices qui apparaissent comme les signes d’une martyrologie puisqu’on l’a jugé coupable. Son passif est doublement condamnable par son caractère contre-nature, souligné par le dogme du fanatisme chrétien, et égoïste puisqu’il a préféré sa vie amoureuse et sa vie familiale. Le trio mère, enfant, père apparaît d’abord paralysé par les blessures sclérosées et les non-dits ; chacun trouve une aide dans les addictions : boulimie, agressivité digitale ou alcoolisme. L’hyperphagie suicidaire, le cynisme autodestructeur et la rancœur non digérée fermentent dans ce petit appartement et mettent progressivement à nu les personnages dans toute leur impuissance et leur détresse affective.

La posture des acteurs et la manière dont ils sont cadrés, formant des peintures naturalistes, mettent en surface l’apparence physique de la morale sur un plan indissociable, le corps est réservoir de frustration et de tristesse.  Au-delà de cette fatalité relative à la condition humaine, il existe le monde de l’imagination et de la dévotion que Charlie représente par son statut de professeur et son amour du prochain. L’espace vital négatif est donc contrecarré par ces deux motivations qui animent les protagonistes consciemment ou non. L’espoir meurtri rejaillit comme le jet de l’évent d’une baleine lorsque la fille de Charlie, Ellie – Saddie Sink connue pour son rôle dans Stranger Things -, se laisse amadouer non sans difficulté, l’attitude hostile qu’elle affiche – s’érigeant comme prototype de l’adolescente rebelle “seule contre tous” – fait de chaque dialogue une joute verbale. Cette humanité désamorce quelques-uns des reproches que l’on pourrait faire à son cinéma, la théâtralité américaine reste néanmoins prégnante ; le mickeymousing n’est pas le seul à susciter de l’émotion, mais il y contribue grandement.

Sexualité, religion et décrépitude du corps se trouvent intimement liés : chacun veut sauver l’autre, selon les paradigmes de sa foi qu’elle soit contestataire ou Sainte. Le potentiel hétérotopique des hautes mers et la créature mythologique de Moby Dick insufflent un élan littéraire aux éléments terriens, la relation père-fille, renouée entre autres grâce à l’écriture, présente la culture comme une chance d’expiation du pêché d’amour ou de haine. Le récit et les visuels nous confrontent au visage de la mort et à la déchéance physique en en soulignant tout le potentiel humaniste.

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