The Knick, ou l’orgueil du cirque médical en 1900

the knick dvd

The Knick

(Saison 1)

Drame, Médical

Avec Clive Owen, Andre Holland, Jeremy Bobb

Sorti en DVD/Blu-Ray le 16 septembre 2015

Le petit écran n’en finit pas de faire les yeux doux aux grands noms du cinéma, et avec The Knick, Steven Soderbergh rejoint des réalisateurs comme David Lynch, Francis Ford Coppola, Neil Jordan, David Fincher ou même Martin Scorsese, sans parler de leurs prédécesseurs, Alfred Hitchcock cachant la forêt de ses contemporains.

Pour se démarquer de ses collègues, Soderbergh a, lui, choisi de se plonger dans le New York des années 1900 et d’en explorer les différents aspects sociétaux, sous la focale du Knickerbocker, hôpital confronté à d’énormes difficultés financières qui cherche à retenir ses patients fortunés, tout en prodiguant des soins aux plus déshérités, du moment qu’ils ont la bonne couleur de peau.

Dans cet hôpital, qui se veut à la pointe de la technologie de l’époque, déambulent des personnages plus truculents les uns que les autres et la caméra de Soderbergh s’ingénue à nous les faire suivre de façon parcellaire, au point que le premier épisode est assez difficile à apprécier, pour qui veut s’attacher.

Pourtant, les effets de caméra et les points de vue utilisés donnent une cohérence à l’ensemble, et, comme l’électricité installée et branchée à la fin du premier épisode, le spectateur se trouve sous perfusion, dans l’attente de la prochaine dose de cocaïne du docteur Thackery, ou de sa prochaine idée ingénieuse qui fera avancer le domaine chirurgical.

«Une soif insatiable de gloire», voilà ce qui pousse Thackery, et auparavant son mentor, à se surpasser, pour faire reculer les frontières de la médecine. L’usage de la cocaïne et de l’opium, en libre circulation à l’époque, n’est qu’un moyen à cette finalité : il leur faut être sur la brèche pour marquer de leur empreinte ce nouveau monde médical, qu’ils façonnent au quotidien.

Thackery, ou la folie incarnée, mais avec de la méthode, est le point central de cette série. Et Clive Owen lui donne corps à la perfection. Sans lui, la renommée du Knick est compromise. Mais, son comportement chaotique, sous l’emprise des montagnes russes que lui font vivre ses multiples injections quotidiennes, transforme l’hôpital en cirque, «son cirque». Que ce soit l’amphithéâtre ou la laboratoire de pathologie, il est La Star du Knick et en adopte le comportement erratique quitte à, par exemple, démissionner si les décisions du Conseil d’Administration ne lui conviennent pas.

Mais, loin d’être éclipsés par l’omniprésence opiacée du Monsieur Loyal qu’est Thackery, les autres chirurgiens donnent une image plus précise du monde médical : Eric Johnson incarne le docteur Everett Gallinger qui a tout pour être heureux, entre sa position dans la société et sa petite famille parfaite, mais qui verra son monde s’effondrer au fur et à mesure de cette saison. Michael Angarano, lui, prête ses traits, assez juvéniles, au docteur «Bertie» Chickering Jr., qui suit comme une ombre son maître à penser et sera obligé de revoir sa conception utopique de la vie lorsqu’il comprendra qui est vraiment Thackery. Andre Holland a reçu, quant à lui, une partie difficile à jouer, en embrassant la destinée du docteur Algernon Edwards, qui doit faire face aux préjugés raciaux de la société américaine de ce début du siècle, tout en satisfaisant sa propre soif de reconnaissance médicale.

Autour de cette équipe de fines lames circonvolue toute une équipe apportant des facettes plus humaines à cette fresque chirurgicale. Le directeur Herman Barrow nous plonge directement dans l’enfer de l’usure et de l’appât du gain, et Jeremy Bobb lui donne à la fois toute la déférence et tout le mépris que cette fonction lui demande. De l’autre côté de l’échelle sociale, le brancardier Tom Cleary est utilisé pour montrer tous les dessous du New-York de cette époque, et le comédien Chris Sullivan lui apporte le côté bourru nécessaire, tout en délivrant une humanité toute en finesse, lorsqu’il décide enfin de se livrer. Les femmes ne sont pas en reste et l’actrice Juliet Rylance incarne Cornelia Robertson, fille du richissime donateur de l’hôpital, en charge des affaires sociales, qui souhaite vraiment prendre part à la vie du Knick et se retrouve coincée par son genre et sa position dans la société civile. Elle est l’une des figures de la trinité féminine présentée dans la série, avec la nonne Harriet et l’infirmière Elkins. Chacune, dans leur rôle, montre un aspect de la condition féminine, de cette société du début du siècle passé et renvoie aux combats que les femmes devront mener jusqu’à maintenant.

Tous ces aspects font de la série The Knick une série à suivre, tant au niveau cinématographique, qu’au niveau recherches historiques. Mais le coffret DVD en lui-même est d’un moindre intérêt, car les bonus nous laissent comme un goût de trop peu.

Les interventions du docteur Stanley Burns, collectionneur et fondateur du fond The Burns Archive, qui a permis de donner toutes les couleurs historiques médicales à cette série, sont bien trop courtes et trop peu nombreuses. Les coulisses des décors et des costumes sont à peine dévoilés : seuls les acteurs dévoilent leurs impressions sur le Brooklyn recréé pour la série. À l’image des post-op de chaque épisode, il ne reste qu’une impression de bribes de bonus. Ce qui laisse le téléspectateur sur sa faim, en ce qui concerne l’envers du décor, les costumes et les origines de cette série.

Pourtant, la deuxième partie du DVD extra-bonus a de quoi contenter les mélomanes, en se focalisant sur la bande-sonore de la série. Fruit du travail de Cliff Martinez, avec lequel Soderbergh collabore depuis Sexe, Mensonges et Video (1989), cette bande sonore électronique et son élaboration sont dépeintes pendant une interview de 15 minutes. Ce bonus a toute sa place ici, vu le choix imposé par le réalisateur à son compositeur : une musique envoutante, complètement anachronique, et aussi entêtante qu’un orgue de barbarie, vient souligner les climax de chaque épisode. Elle accompagne le spectateur dans son périple, lui permettant de prendre, par la même occasion, le recul nécessaire pour disséquer les situations présentées. Elle met également en abîme la froideur technique avec laquelle les scénaristes et Soderbergh ont choisi de représenter cette New York en ébullition, au seuil des grandes avancées sociétales et technologiques qui ont marqué ce siècle, et cet hôpital où chacun, des docteurs aux brancardiers, en passant par le directeur, veut sa part du butin, en pièces sonnantes et trébuchantes ou en or brillant des lauriers de la gloire sociale et médicale.

Série : 4 étoiles

Bonus : 3 étoiles