« Sound of Freedom », mérite-t-il The Sound of Silence ?

Sound of Freedom
d’Alejandro Monteverde
Drame, Action, Biopic, Thriller
Avec Jim Caviezel, Bill Camp, Cristal Aparicio
Sortie le 15 novembre 2023

Qu’est-ce que je regarde ? Dans le fond, un biopic. Celui de Tim Ballard, un agent du gouvernement spécialisé dans la traque de pédocriminels, qui plaque tout pour démanteler un réseau de traite d’enfants. Ne pouvant plus supporter de faire tomber les bourreaux sans jamais sauver les victimes et bouleversé par Roberto, père prolétaire et célibataire ayant vu son fils et sa fille se faire kidnapper afin de devenir esclaves sexuels, Tim va voguer entre Amérique du Sud et Amérique centrale pour redonner du sens à son existence.

Qu’est-ce que je regarde ? Dans la forme, le film apparait narrativement pauvre. L’intrigue suit la recherche de la petite Rocio. S’inspirant de faits réels celle-ci se déroule de manière très linéaire et causale, chaque séquence, chaque obstacle emmenant logiquement vers le suivant. Et pourtant. Pourtant, deux choses. D’une part, la production ainsi que le réalisateur, Alejandro Monteverde, ont avoué (face aux critiques quant à la vraisemblance des actions menées) avoir pris des libertés par rapport aux faits réels, par rapport à une véritable représentation de ce type d’opération. En soi, chaque scénario « inspiré de faits réels » romance cette réalité et on peut le comprendre : il n’est pas question de faire un documentaire mais bien un divertissement ou, tout du moins, une fiction. D’autre part, le fonctionnement de l’OUR, l’organisme créé par Ballard afin de démanteler des réseaux de trafic d’enfants, s’avère plutôt opaque et les réussites de celle-ci (plusieurs milliers de vies sauvées), sont à relativiser faute de résultats tangibles. Ainsi, face à une réalité qui semble, à la fois, ne pas vraiment exister et dont la représentation n’est, de toute manière, pas l’objectif, on peut raisonnablement se demander pourquoi il transparait de la narration une linéarité aussi monotone.

Dans la forme toujours, on peut aussi regretter une certaine minceur des personnages. Le film oppose le bien au mal, les immuables gentils et repentis maintenant bienveillants contre les éternels porcs. Cependant, ce manichéisme peut s’expliquer. En effet, si les personnages sont tant unidimensionnels, c’est parce que le but du film est politique. L’objectif n’est pas la nuance mais la dénonciation. Il faut ouvrir les yeux du grand public sur un sujet important, celui du trafic d’enfants, celui du trafic d’esclaves sexuels. Il n’y a donc pas de point de vue à comprendre, de débat, la déshumanisation vise la réaction : choquer pour réveiller, pour faire bouger les choses.

Qu’est-ce que je regarde…ou, plutôt, qu’est-ce que je vois entre les lignes ? Tout d’abord, il faut savoir que, si le film a été mis en production par la 20th Century Fox, le projet a été jeté au placard lors du rachat de la firme par Disney, celui-ci ne rentrant pas assez dans la ligne éditoriale plus consensuelle du géant de l’audiovisuel. Ainsi, alors qu’il a été tourné en 2018, Sound of Freedom ne se retrouve en cinéma qu’en cette fin d’année 2023. Et ce, grâce, ou à cause c’est selon, d’Angel Studios, compagnie récente (elle n’existait pas au moment du tournage du film) visant à promouvoir des projets audiovisuels auprès d’un public chrétien. On peut donc aussi expliquer le manichéisme de l’histoire, et possiblement sa linéarité, par cette volonté de s’attacher au christianisme où le combat du bien contre le mal est un fondement.

Mais si je m’attarde sur l’aspect religieux du film, c’est parce qu’une entité se trouve à la croisée des chemins entre la chrétienté et la pédocriminalité. Bien qu’on pense dans un premier temps à l’Église catholique, il est question ici de la secte Qanon, phalange complotiste d’extrême-droite. En effet, selon la thèse du « Grand Complot », une certaine élite médiatico-démocrate adoratrice de Satan kidnappe, abuse et mange (oui, mange) des enfants. Si la croyance peut prêter à sourire, elle n’en est pas moins le socle d’une réalité, celle d’une Amérique Trumpiste dont le coup d’éclat fut l’assaut du Capitole après la défaite de leur messie lors de la course à la Maison Blanche de 2020. Ainsi, Qanon utilise les bien réels traite des enfants et trafic d’esclaves sexuels dans le but de diffuser son idéologie et ses préceptes.

Cependant, le film n’évoque jamais ni Qanon ni ses thèses. Mais il est plus question ici de collusions que d’allusions. En effet, outre les personnalités et médias conservateurs, point d’ancrage du public Qanon, qui font la promotion du film, les têtes d’affiche du projet relaient les théories la secte. Ainsi, autant Tim Ballard que Jim Caviezel (le second jouant le premier à l’écran) adhèrent à la croyance selon laquelle de l’adrénochrome est ponctionné à des enfants et injecter à des adultes à des fins récréatives. Bien que la substance existe réellement, il a été prouvé qu’il est impossible de l’utiliser agent psychotrope.

Et que penser du message de fin ? Alors que le générique défile, un splitscreen fait intervenir Jim Caviezel. Une séquence où l’acteur parle du fait que les vrais protagonistes sont les enfants alors que le long-métrage divinise la figure du Sauveur Blanc Tim Ballard. Pendant quelques minutes, Jim Caviezel raconte les difficultés liées à la sortie du film. Séquence assaisonnée d’un « vous savez pourquoi » très ambigüe au regard, certes de la production complexe du film, mais aussi, de tout ce qui l’entoure, et qui termine par l’affichage d’un QR Code permettant d’acheter de nouvelles places qui seront redistribuées à ceux qui n’ont pas les moyens d’aller voir le film en salle, processus qui aurait rapporté près de dix millions d’entrées (le conditionnel est à utiliser ici en raison de salles apparemment à moitié vides, mais comptées comme pleines à cause de tickets n’ayant pas trouvé preneur).

Au final, quoi penser de Sound of Freedom ? Malgré quelques faiblesses narratives, le film diffuse un message extrêmement important. La traite des êtres humains est un véritable enjeu qui n’est que peu mis en avant sur le devant de la scène. Mais ce message s’arrête-t-il là ? Ou est-il une porte d’entrée vers des thèses beaucoup plus sombres ? En détournant des causes légitimes à des fins prosélytes, Qanon fait planer le doute sur l’ensemble de ladite cause, au risque de la desservir. La stratégie est pourtant clinique de perfidie car personne ne peut s’opposer au trafic d’êtres humains et personne ne peut donc s’opposer au message premier de Qanon et du film : il faut sauver les enfants. Ainsi, comme il en est pour tout ce qui touche à cette noble cause à présent, il est difficile de savoir ce qu’on juge et encore plus difficile de donner son aval ou de ne pas le donner.