Shahada : témoignage intime d’un parcours entre Damas et Paris 

© Debby Termonia

 

De Fida Mohissen. Mise en scène de François Cervantes. Avec Rami Rkab et Fida Mohissen. Du 13 septembre au 1er octobre 2022 au Théâtre de Poche

Shahada est un mot arabe aux sens multiples, “attester de”, “présence”, “mourir en martyr”, “témoigner”… une polyphonie qui se rattache au caractère multiple du personnage éponyme. Syrien littéraire, musulman et expatrié, la vie de Fida Mohissen est aussi romanesque que touchante. C’est avec l’acteur Rami Rkad – dans le corps de son jeune moi – qu’il prend place sous le plateau pour nous la conter.  

La première scène s’ouvre sur une introduction déclamée par Fida Mohissen, directement il prend de la distance sur son rôle de témoin, ses doutes quant à sa place d’acteur et de biographe. Rami Rkad arrive ensuite, tous deux assis sur une chaise ils s’échangent la réplique, dessinant une chronologie éclatée. L’homme de cinquante ans peut ainsi s’observer, avoir un regard critique, dur et parfois attendri sur une jeunesse radicale et passionnée entre Damas et la Ville Lumière. La distance est un fil rouge de la pièce, celle que l’on prend lors d’un témoignage, vis-à-vis de ses croyances religieuses ou des frontières ethniques auxquelles nous nous heurtons. 

Dans ce script intimiste, il extériorise les conflits internes qui habitent les expatriés, les chocs culturels, la violence des mots aux valeurs divergentes selon le locuteur. Ce bouillonnement nécessite une adaptation qui loin de se faire en douceur s’opère souvent d’un coup brusque. C’est de cette brutalité que naît la radicalité par laquelle est tenté le jeune Fida, félicitant intérieurement les terroristes qui comptent le nombre de morts que leurs attentats ont provoqué. Il désintègre ensuite ces convictions extrémistes, claustrophobe dans la cellule du dogme. Des images des victimes du Zero Nine Eleven le ramènent à la réalité de l’humanité universelle plutôt qu’au cloisonnement racial et religieux. C’est donc en repenti qu’il grandit, non sans culpabilité envers les siens. Le paradoxe entre l’Adulte et le Jeune Homme se dessine tout au long de la pièce, signant une prose rythmée d’émotion et d’humour.

Le jeu des acteurs est quasi sans artifices, le décor neutre, la force du récit forme les visuels et le spectateur doit fournir un effort d’imagination pour construire sa propre mise en scène. Par-là, est soulignée la frontière délicate entre réel et fictif dans le témoignage. Marqué par la langue française de Houellebecq à Camus en passant par Cervantes, l’émancipation de Fida passe par la dextérité avec laquelle il la manie. Le théâtre est pointé du doigt en opposition au terrorisme, l’expression artistique anéantirait tout acte de foi. 

La mémoire ne peut rester intacte, elle n’est pas une preuve scientifique, mais actualise le récit et permet – en plus d’un partage collectif – une introspection profonde et un retour aux sources. Une histoire témoignant d’une expérience qui doit résonner chez beaucoup de personnes tiraillées entre deux modèles culturels.