Rencontre avec Caroline Safarian

Crédits photos ©Frédéric Dezotteux

Du 7 au 10 mai 2014, la nouvelle création de Caroline Safarian intitulée Les chaussures de Fadi prendra ses quartiers à l’Espace Magh, dans le centre-ville de Bruxelles. Avec Florence Hebbelynck et Ben Hamidou comme acteurs, cette pièce de théâtre s’avère ambitieuse et s’inscrit, en outre, dans le cadre des 50 ans de l’immigration marocaine en Belgique.

Rencontre avec Caroline Safarian qui a donné vie à l’histoire de Chloé et Fadi, deux personnes, issues de cultures différentes, dont la rencontre est totalement improbable. Plus qu’un couple mixte, Fadi et Chloé représentent et endossent en réalité les rôles d’une société en mal de vivre, perdue, de plus en plus compartimentée, qui va de plus en plus souvent jusqu’à enfermer les gens dans des clichés dont ils ont du mal à sortir. L’histoire de Fadi et Chloé, c’est l’histoire d’une intimité qui a du mal à naitre à cause d’une fracture sociale trop imposante de la société dans laquelle ils vivent.

Pour faire connaissance avec vous, pouvez-vous nous expliquer brièvement qui est Caroline Safarian ?

Je suis comédienne de formation. J’ai beaucoup joué après être sortie du conservatoire de Liège. Ensuite, je me suis tournée vers l’écriture qui s’est très vite imposée à moi. C’est une forme d’expression qui me passionne depuis toujours.

J’ai été publiée deux fois, notamment pour Peau de loup qui est un spectacle que j’ai écrit avec un auteur de théâtre qui s’appelle René Bizac.

De plus, je suis l’auteure de Papier d’Arménie ou sans retour possible qui parle du tragique sujet du génocide arménien. Même si je suis le fruit d’un métissage de plusieurs nationalités, je suis en partie d’origine arménienne et il y a dès lors quelque chose qui me rattache à ces origines.

Outre cela, j’aime beaucoup les sujets d’actualité. Je travaille régulièrement sur des faits d’actualité comme dans Papier d’Arménie ou sans retour possible par exemple. C’est intéressant d’actualiser ces phénomènes dans la mesure où cela peut se reproduire. On a pu le voir au Rwanda en 1994 et au Darfour récemment.

Votre nouvelle création Les Chaussures de Fadi a été créée dans le cadre des 50 ans de l’immigration marocaine en Belgique. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans cette entreprise alors que vous n’êtes pas marocaine ou d’origine marocaine ?

C’est une culture vers laquelle j’ai été proche à un certain moment. Un lien intime assez personnel.

Maintenant, je n’ai pas de lien direct avec cette culture, c’est certain. Mais je pense que c’est plus confortable pour moi. Parler de la mixité m’est plus aisé en parlant des marocains plutôt que des arméniens. Il est toujours plus facile de parler de soi-même à travers l’autre.

Je trouve également que l’on ne fête pas assez les différentes cultures qui composent la Belgique et particulièrement Bruxelles. Cette ville est un mélange de cultures, un foisonnement de diversité, c’est ce qui fait la beauté de celle-ci. On reste fort braqué sur des histoires communautaristes au lieu d’en louer la richesse.

Vous pensez que le monde est plus fermé qu’il y a cinquante ans ?

Oui, j’ai l’impression. Nous sommes à nouveau dans une situation économique épouvantable et le même réflexe revient, c’est-à-dire de revenir avec un discours sur l’immigration et la faute de l’immigré alors que des études prouvent que c’est faux.

Les chaussures de Fadi, c’est l’histoire de Chloé et de Fadi, deux êtres qui s’aiment mais que tout oppose. Une romance avant tout je suppose ?

Oui, c’est avant tout l’histoire de Roméo et Juliette. C’est l’histoire d’un barbu, un islamiste pur et dur, et d’une prostituée qui vont se rencontrer. Une histoire racontée par une mère à son fils à l’instar d’un conte. C’est donc la farce qui amène le réalisme et non l’inverse.

D’ailleurs, les personnages sont des personnages de farce. La petite mère est certes la maman du jeune fils un peu rebelle, mais elle est aussi le commandeur des commandeurs, elle est maître de l’Occitenderie. C’est elle qui gère tout. Elle représente en fait l’Europe et cette grande farce dans laquelle nous sommes, même si je pense que l’Europe est une bonne chose mais il faut qu’elle change.

Le fils quant à lui représente un peu l’Européen moyen. Un peu perdu au milieu de tout cela.

De ces deux personnages découlent les personnages de Chloé et Fadi.

C’est donc un pastiche ?

C’est un pastiche de l’Europe, tout à fait. De ce que nous sommes en train de faire de l’Europe. Il faut une Europe solidaire et qui s’entraide.

les chaussures de fadi

Dans votre mise en scène, vous êtes aidée par Sam Touzani qui s’occupe de la chorégraphie…

Oui. L’islamiste a un rapport au corps très dogmatisé, très codé et très figé. Chloé est hyper sexualisée, très libre. Mais ils sont finalement semblables sous un certain point. Sam (Touzani) met en scène un moment chorégraphié entre les deux personnages où l’on parle de cette solitude et de ce rapport au corps qui est tronqué par le fait qu’ils sont dans l’extrême l’un et l’autre.

Concernant la portée politique de votre pièce, vous avez décidé de la jouer à l’Espace Magh. N’avez-vous justement pas eu peur de ne parler exclusivement qu’à un public originaire du Maghreb plutôt qu’à un public plus large ?

Le directeur Najib Ghallale est une personne très ouverte. C’est mon point de référence.

Cela m’a également permis de rencontrer Sam (Touzani) ou Ben (Hamidou) qui sont des artistes ayant une réelle intelligence artistique et un vrai point de vue sur les choses.

Mais cela ne me fait pas peur de jouer là-bas, non. Je connais cet endroit depuis plusieurs années et c’est réellement un lieu qui a été créé pour rassembler les différentes communautés. Vous savez, le communautarisme n’est pas négatif si il permet aux personnes de se retrouver entre eux. En ce sens, il ne me dérange pas, il me gêne lorsqu’il se positionne dans le rejet de l’autre. Ce communautarisme, je l’exècre d’où qu’il vienne.

Pour terminer, pouvez-vous nous expliquer le choix de la photo d’illustration de votre spectacle qui nous présente une paire de chaussures suspendue sur un câble électrique ?

C’est Frédéric Dezoteux qui a réalisé cette photo. Ce que j’aime dans cette photo, c’est tout d’abord l’interrogation face à cette pratique qui consiste à accrocher des chaussures à des câbles suspendus. Mais par rapport à mon spectacle, c’est surtout l’image de l’équilibriste et le fait que l’on soit dans les nuages, proche de Dieu.

Les chaussures de Fadi de Caroline Safarian avec Ben Hamidou et Florence Hebbelynck du 7 au 10 mai 2014 à l’Espace Magh (réservations ici).

Propos recueillis par Matthieu Matthys

A propos Matthieu Matthys 919 Articles
Directeur de publication - responsable cinéma et littérature du Suricate Magazine.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.