« Pour Suzanne », ou la libération de l’arbre généalogique

Titre : Pour Suzanne
Autrice : Nina Almberg
Editions : Hors d’atteinte
Date de parution : 6 janvier 2023
Genre : Roman

Léa, Florence et Suzanne partagent le même arbre généalogique et par conséquent, les mêmes secrets. L’un d’entre eux est d’ailleurs inscrit à vif dans la peau de chacune de nos protagonistes. Léa propose un dénouement à l’histoire en soulevant le nœud du problème : Denis, le père de Florence (sa mère) est-il vraiment son père ? Cette phrase sort malgré elle, comme un pavé jeté dans la mare, comme si elle avait été une cocotte-minute qui finit par exploser, comme si son arbre généalogique lui-même lui avait confié la mission de le libérer. Il s’avère que les soupçons concernant Denis sont bien plus que de simples doutes. Et s’il est vrai que dans notre construction identitaire le mythe de l’enfant trouvé occupe une place importante, qu’en est-il lorsque ce mythe se transforme en réalité ? C’est la question à laquelle Léa, Florence et Suzanne tentent de répondre.

Au fil de la lecture, nous avons l’impression d’assister à une séance de constellations familiales. Léa est poussée, malgré elle, à révéler certaines choses, sa mission de vie semble être de libérer les mémoires psychogénéalogiques de sa famille en mettant la vérité en face des yeux de sa propre mère et de sa propre grand-mère. Léa parle pour rendre la voix à toutes les femmes de sa lignée qui n’attendaient que cela : la libération de la parole autour d’un événement dont tout le monde sait l’existence, mais que personne ne veut voir. La libération de l’arbre généalogique se fait ici « par le bas » (Léa) quand le haut de ce dernier a trop souffert (Florence) ou s’est encrouté dans un déni confortable (Suzanne). Les traumas se transmettent sur plusieurs générations et Léa est désignée pour réparer cela afin de stopper cette passation nocive.

Cette dernière amorce un véritable cataclysme salvateur au sein de sa famille en touchant une plaie encore à vif, ça l’obsède, elle ne peut s’en défaire, tout la ramène toujours à cette question, car au fond d’elle, elle connaît déjà la réponse. Les trois femmes se retrouvent au fil des pages, elles aident les autres à se libérer et à sortir du silence et les non-dits dans lesquels elles s’étaient emmurées. Léa donne la force nécessaire à Florence (sa mère) pour confronter Suzanne (sa grand-mère) afin de pouvoir s’affirmer et obtenir une reconnaissance de ce qu’elle a vécu. Ensuite, c’est Florence qui permettra à sa mère de se libérer du secret qui lui colle à la peau depuis si longtemps. Lorsque les blocages sont reconnus et acceptés, les portes s’ouvrent et tout commence à avoir du sens. Il y a cependant un décalage des générations dans les phases de reconnaissance et d’acceptation, ce que la division en trois chapitres et en trois temporalités au sein du livre met en exergue.

Il y a quelque chose d’addictif dans l’écriture de Nina Almberg : elle est juste, bonne et vraie. Il est donc nécessaire et indispensable de s’y frotter et de la partager. Nous sommes pris dans le flots des mots de l’autrice sans jamais vouloir en sortir, nous nous laissons porter par sa douceur et sa bienveillance qui transpercent à la fois les pages du livre et notre âme. Sa plume permet de dire et d’écrire sans virer dans le pathétique, le larmoyant, la violence ou la dureté pourtant le sujet est costaud, puissant et glaçant.

Pour Suzanne, c’est un livre qui répare le corps et l’âme, qui purifie et qui nous permet de prendre de la hauteur. C’est l’histoire de trois femmes, de trois âges, de trois passions et de trois visions. C’est surtout une pépite à lire absolument !