Maryna Er Gorbach, raconter le quotidien des gens

Quelques jours après la projection de son film Klondike à Bruxelles, la réalisatrice ukrainienne Maryna Er Gorbach a eu la gentillesse de répondre à nos questions.

Devenir réalisatrice

Lorsqu’on lui demande ce qui l’a poussée à se lancer dans une carrière cinématographique, Maryna Er Gorbach nous donne deux réponses, une première très pragmatique et une seconde plus personnelle et intime.

Elle nous confie que ce n’était pas un rêve de petite fille, elle qui voulait devenait avocate. Une aspiration brisée par la dure réalité du système éducatif en place à la fin des années 90 en Ukraine, miné par la corruption. Mais qu’à cela ne tienne, entrée en contact avec le monde du cinéma par l’envers du décor, elle décide de s’inscrire en master à l’université nationale de Kyiv en section cinéma. Une fois diplômée, elle poursuit son éducation à Varsovie dans l’école créée par le célèbre réalisateur Andrzej Wajda. Par la suite, jeune mariée et au vu de la situation économique complexe vécue par de nombreux réalisateurs, elle décide, ensemble avec son mari, qui est également réalisateur, de produire ses films par elle-même, seule manière selon eux de vivre de manière autonome. Une sage décision au vu des 4 films déjà réalisés.

Néanmoins pour nuancer les choses, elle nous parle dans un second temps de son besoin de partager ses émotions avec le public, une philosophie de vie qui peut se résumer dans cette maxime : Je n’aime pas écrire quelque chose si je ne peux pas le filmer.

L’évolution des mentalités

Lorsqu’on évoque ses collègues réalisateur, Maryna Er Gorbach nous trace un intéressant portrait de la jeunesse ukrainienne, elle qui n’a pas connu l’Union Soviétique et ne se sent pas attaché aux fantômes impérialistes du passé. Une page blanche idéologique en quelque sorte, qui explique l’attitude des jeunes réalisateurs qui se considèrent comme pleinement citoyens d’un pays indépendant et adoptent dès lors des positions maximalistes courageuses et sans compromis par rapport à leur avenir. Une mentalité qui, à l’heure de l’invasion russe, a percolé dans toute la société, chacun étant prêt à défendre sa famille et ce pour quoi il a travaillé toute sa vie.

Et même si cette évolution ne s’est pas faite en un jour, la jeunesse et la société civile ukrainienne se battant depuis 2004 pour ce changement, la réalisatrice constate une rupture de plus en plus grande entre société ukrainienne et société russe. Une rupture qui, même si l’on tient compte des citoyens qui manifestent ou protestent de l’une ou l’autre manière en Russie, notamment en émigrant, devient de plus en plus définitive au fil du temps, et qui aura un impact sur la manière dont les citoyens et les réalisateurs se représentent ce qu’est être ukrainien et russe.

Car une des questions principales est évidemment de savoir ce que propose et ce que représente encore le monde russe ? Qu’a-t-il apporté pour ses locuteurs d’un point de vue culturel lors des 20 dernières années ? Peut-on seulement se contenter de ressasser encore et encore l’âge d’or de la culture russe sans apporter quelque chose de neuf pour ceux qui la partage ?

Le monde des médias ukrainiens

Impossible de ne pas parler de l’actuel président ukrainien lorsque l’on parle du monde des médias en Ukraine. Si la plupart des gens en dehors d’Ukraine le connaissent à présent comme président et excellent communicateur, c’était un producteur – Kvartal95 – assez connu et influent de séries télévisées, films familiaux et films d’animation avant qu’il ne se lance en politique – comme son personnage dans Serviteur du peuple. Et c’est d’ailleurs à n’en pas douter grâce à cette expérience dans le monde des médias qu’il est capable de motiver la population et gagner la bataille médiatique jour après jour.

Mais il y a aussi de nombreux producteurs indépendants dans le pays, qui, grâce à des subsides gouvernementaux, peuvent produire leurs films, Klondike en étant un bon exemple. Le cinéma ukrainien se portait donc relativement bien avant l’invasion russe, présent notamment à Cannes, à la Berlinale ou au festival de Sundance.

La situation est évidemment tout autre à présent, mais il faut souligner le courage des nombreux réalisateurs qui sont restés en Ukraine pour documenter la guerre et parler non seulement des crimes de guerre mais de récits plus héroïques.

L’attention portée sur la famille

Ce qui est frappant dans Klondike, c’est que ce film de guerre ne montre pratiquement pas de scènes de combat mais se concentre exclusivement sur cette famille du Donbass pour former un passionnant huis-clos. Les raisons pour lesquelles la réalisatrice a choisi cet angle d’approche sont multiples.

La première est que le film étant en partie documentaire, l’avion de la Malaysian Airlines ayant bien été abattu à cet endroit, Maryna Er Gorbach voulait parler de la population locale. D’autre part, Klondike représente bien les différentes réactions que l’être humain peut avoir face à cette tragédie. Certains ne s’imaginent pas que cela puisse continuer et dès lors font tout leur possible pour continuer à vivre une vie normale, d’autres ayant connu la violence et la peur du temps de l’Union soviétique savent que cela peut dégénérer, ont peur et essayent de sortir de la zone de conflit de toutes les manières possibles. Tandis que les derniers, à l’image du frère dans le film qui représente cette génération née après l’indépendance, sont beaucoup plus combatifs et ne comprennent pas comment les autres peuvent hésiter à se révolter. Tout est donc une question d’instinct et c’est également ce qui rend le film universel.

La seconde raison pour laquelle la réalisatrice a choisi une approche plutôt minimaliste par rapport à l’esthétique guerrière est que selon elle, en montrant les batailles et faits héroïques, on participe également à la promotion de l’image guerrière, en basculant d’une certaine manière vers le divertissement, ce qui va évidemment à l’encontre de la philosophie générale proposée par Maryna Er Gorbach. Elle préfère donc compter sur l’imagination du spectateur afin que celui-ci rassemble les pièces du puzzle à travers les fragments qu’on lui fournit.

Enfin, se concentrer sur cette famille avait également comme avantage de parler de la communication dans la cellule familiale, entre ces deux hommes qui ne se détestent pas fondamentalement mais sont incapables de communiquer entre eux car ils restent chacun sur leur position. Une incapacité qui existe dans de nombreuses familles et qui peut, à l’échelle d’un pays, mener à des conflits armés.

L’art contre la propagande ?

Lorsqu’on évoque la question de la propagande et qu’on lui demande ce que le cinéma et l’art en général peuvent faire pour rapprocher les cultures et faciliter la communication entre les peuples, Maryna Er Gorbach est assez pessimiste. Pour elle, à moins d’un changement radical d’opinion au sein de la population russe et surtout un profond examen de conscience sur la responsabilité collective de la nation russe dans cette tragédie, la communication ne sera jamais possible.

Quant à Klondike, même si les opinions à son sujet sont partagées, elle est satisfaite de l’avoir tourné, affirmant que c’est sa manière à elle de faire quelque chose pour son pays et informer les gens sur ce qui se déroule actuellement en Ukraine.

Les nouveaux projets

Penser à une comédie ou quelque chose de léger dans ce climat tragique peut a priori sembler déplacé ou utopique, néanmoins, lorsqu’on lui demande quels sont ses projets futurs, la réalisatrice nous dit que tout ce qu’elle fait, c’est aussi pour sa survie personnelle et son bien-être émotionnel. Par conséquent, parler d’un sujet plus positif peut également l’aider à garder son énergie positive et ne pas sombrer dans une forme ou l’autre d’apathie. Car ce que désire l’ennemi, c’est justement vous rendre apathique et vous empêcher de réagir.

Dès lors elle souhaiterait raconter des histoires émouvantes sur la vie quotidienne des gens dans cette horrible guerre, montrer que malgré les bombes et le danger, ils ont gardé leur humanité et leur simplicité.