
Scénario : Johann G. Louis
Dessin : Johann G. Louis
Éditeur : Dargaud
Sortie : 02 mai 2025
Genre : Roman graphique
Dans Manouche Manouche, Antoine va passer son été chez sa tante, dans une maison qui appartenait à sa mère, juste décédée. C’est un adolescent qui vient de passer son bac, un littéraire qui va s’inscrire à la Sorbonne, un rêveur perdu dans le monde musical des années 1980. Là-bas à Angers, il va faire la connaissance de l’inconnu, alors que des gitans s’installent en ville dans leurs caravanes. Là-bas, il va aussi découvrir le désir qui monte et cet homme, Melalo, qui ne le laisse pas indifférent…
Johann G. Louis raconte beaucoup de choses dans cet album qui se veut résolument personnel. Le deuil impossible d’une mère qui n’est plus là, les années 1980 saisies en musique à travers un walkman ou une radiocassette, le désœuvrement de la jeunesse perdue de France qui végète dans ces petits villages, le racisme envers la population tsigane, la question de l’héritage et de ce qu’on en fait, la montée de sève chez un ado pour un homme et les illusions fanées quand on voit le même homme faire l’amour avec une femme, contre un arbre au clair de lune…
C’est beaucoup pour un album, qui est, somme toute, plutôt court. Peut-être Johann G. Louis aurait dû délaisser certaines sous-intrigues (celles qui voient ces gamins harceleurs chercher à combler l’ennui en volant les caisses du bar) pour davantage explorer celle affichée sur la couverture de Manouche Manouche : la découverte d’un désir pour cet homme chez cet adolescent parisien.
L’auteur ne semble pas si confiant en ses propres moyens. Les phylactères de l’album prennent beaucoup de place et la calligraphie est gigantesque comparée à ce qui est dit. La bande dessinée fonctionne d’ailleurs mieux quand Louis se passe de mots et fait confiance à son trait. On se dit d’ailleurs que Manouche Manouche se trompe de destinataires : idéal pour un public de jeunes adolescents, de l’âge d’Antoine ou un peu moins, davantage qu’à des adultes.
Il manque une certaine complexité dans les affects vécus par Antoine et les différents personnages, dans le propos de manière générale. Louis évacue très vite toute situation pouvant amener une réflexion ou des problématiques intéressantes. Ainsi, dans la scène de baignade partagée entre Antoine et Melalo. Celui-ci est nu, Antoine en slip, ils se mouillent l’un l’autre, jouent, Melalo fait semblant de couler Antoine. L’ado est curieux, on le voit à ses grands yeux immobiles, mais le désir n’est jamais dessiné, exprimé. L’émotion dessinée sur les visages est sensiblement la même, tout le temps. Ainsi, Melalo reste un mystère irrésolu ou un homme lambda, l’auteur ne joue pas vraiment avec l’ambiguïté des corps et des regards.
Manouche Manouche manque donc de profondeur. La seule manière qu’à l’auteur de représenter les années 1980, surreprésentées à tort depuis une décennie déjà, se fait au travers de l’écriture de paroles de chansons écoutées par le protagoniste. Mais si ce stratagème fonctionne dans Les gardiens de la galaxie, sorti en 2014, il y a déjà plus de 10 ans, il s’épuise très vite ici, et d’autant plus si on ne connait pas du tout le rythme de ces chansons qui ne résonnent que dans la tête de l’auteur, l’excluant dans un monde perdu à jamais, et pour un mieux peut-être, les années 1980.
Manouche Manouche, malgré ses petits défauts qui n’en font pas une œuvre à la hauteur de nos attentes, reste un beau récit de province française, qui donne un aperçu très rapide des idées toutes faites envers tout ce qui ne ressemble pas au commun. Ces idées qui se propagent à l’arrivée de l’étranger, que ce soit ici ces familles gitanes ou la découverte pour un désir hors-cadre d’un jeune garçon pour un homme. Ce faisant, on peut y lire de belles scènes entre la tante et son neveu, dans cette grande maison tout de bric et de broc. Se dessine aussi un semblant d’amitié, inhabituelle et qui désarçonne, entre cette fille qui a quitté l’école d’un grand doigt d’honneur et ce garçon entrant à la Sorbonne, une différence de classes peu souvent montrée et qui se termine sur une image déchirante au bord d’un quai de gare.