Écriture et mise en scène Claudia Bruno
Interprétation Amandine Vandenheede, François Badoud, Réal Siellez, Bastien Deleixhe, Sarah Ber
Du 14 mai au 30 mai 2025
Au Théâtre des Riches Claires
“Même moi, je mérite tout ce qu’il y a de plus beau”
Marceline a peur du noir. Son père et sa mère – violent·e·s avec elle – lui répètent inlassablement que Marceline est vilaine, qu’elle n’est pas aimable. Elle rêve de partir, de s’émanciper, de s’affirmer – mais, à défaut de pouvoir s’enfuir, Marceline voyage à travers ses songes, depuis sa chambre, et, régulièrement, elle part se réfugier sur la lune. Là-bas, une galerie de personnages tous aussi fantasques les un·e·s que les autres l’emmèneront vivre des aventures à coups d’explosions de paillettes, de fêtes et de joie – entremêlées de retours à une réalité brutale et crue, contre laquelle notre héroïne tente de lutter.
Marceline est un conte pour adultes contemporain qui met en exergue l’importance, pour un·e enfant, de se sentir encouragé·e, ainsi que toute la nécessité de se sentir exister aux yeux des autres, et surtout, de ses parents. Marceline, comme tant d’autres enfants, éprouve le besoin d’être aimée et estimée par son père et sa mère. Ne se faisant pas, elle s’échappe au travers des fantasmes d’une vie qu’elle voudrait tant pouvoir mener.
Le récit qui nous est dépeint par cette joyeuse bande suit cette aventure au travers d’une narration tantôt chaotique, tantôt touchante, et très souvent drôle où le rêve devient un véritable acte de résistance ! En effet, la narration nous plonge complètement dans cet univers onirique, où tous les éléments, des personnages aux décors, sont la projection mentale de ce que Marceline voudrait être. Les thématiques de la confiance en soi et du traumatisme intrafamilial sont au cœur du récit et tentent de répondre à la question suivante : comment grandir et se construire en tant qu’adulte dans de telles conditions ? La mise en scène de Claudia Bruno réussit le tour de force de pouvoir s’emparer de ces thématiques et de les traiter au travers d’un humour absurde, décalé, et franchement barré par moments. Ce traitement du sujet donne au récit une atmosphère loufoque, qui permet à la metteuse en scène de traiter ces sujets sans forcément devoir y mettre une forme de gravité. – Et ça fait du bien ! – Cette façon d’aborder des thématiques aussi sensibles que la maltraitance infantile (dont il est question dès le début de la pièce) permet de déployer avec justesse les moments plus émotionnels. Tout cela donne de la consistance aux personnages et nous fait encore plus les adorer. On s’attache à elleux, on s’amuse d’elleux, on en rigole – et le public prend complètement part à ce rêve. La proximité entre public et salle qu’offre la grande salle des Riches-Claires renforce encore plus cette proximité, qui est un véritable atout pour ce spectacle.
Les interprètes sont la véritable force de cette création. Marceline, interprétée par Sarah Ber, emprunte à Alice (de Lewis Carroll), au Petit Prince ou encore à Dorothy Gale pour donner vie à une protagoniste franchement convaincante, à la fois lunaire et profondément touchante. La galerie de personnages qui l’accompagnent sert cette interprétation. Ces entités sont tant de projections et d’embranchements de l’esprit de Marceline qui se déploient face à nous – avec un goût toujours prononcé pour un développement humoristique empruntant à un absurde qui flirte parfois avec les limites, sans pour autant les dépasser ! Un vrai tour de force qui maintient les spectateur·ice·s dans une écoute dynamique et amusée. Mention spéciale au duo tonitruant formé par Amandine Vandenheede et François Badoud, qui fonctionnent du tonnerre ensemble et qui vous feront franchement mourir de rire par instants.
Les costumes proposés par Kevin Vandewheghe suivent cette direction artistique burlesque et fantasque, pour le plus grand plaisir de nos mirettes. Par ailleurs, le spectacle ne s’encombre pas d’une scénographie trop volumineuse, et la proposition d’Élodie Huré sert toujours, avec pertinence, l’imaginaire du rêve et donne aux interprètes la possibilité de pouvoir déployer cette fantaisie sans trop d’artifices.
Le spectacle souffre cependant de certains problèmes de rythme notables, notamment dans une deuxième partie qui s’essouffle parfois un peu. Cependant, la matière se sédimentera sûrement au fur et à mesure des représentations et, avec quelques dates dans les pattes, le rythme du spectacle ne pourra que s’améliorer ! Notons que c’était la première du spectacle : iels ne pourront que se perfectionner au fil des jours.
En conclusion, Marceline est une véritable bouffée d’air frais qui parvient à traiter de sujets complexes au travers d’une création drôle, explosive et franchement généreuse. Marceline nous rappelle que chacun·e mérite ce qu’il y a de plus beau. Elle nous rappelle que nous avons toustes en nous les ressources nécessaires pour nous élever.
C’est pas forcément triste de grandir, de devenir un adulte, ça peut être chouette parfois. Il suffit peut-être de changer son point de vue. La pièce ne dit jamais que c’est facile ou qu’il suffit d’y croire. Marceline, c’est une lettre d’amour à celles et ceux qui sont toujours dans les nuages. Une lettre d’amour aux gens qui doutent, comme le dit la chanson.
Cette pièce nous rappelle simplement que chacun·e emprunte son propre chemin, et celui de Marceline en est un parmi tant d’autres, que l’équipe de Claudia Bruno nous offre à voir jusqu’au 30 mai 2025, toujours aux Riches-Claires.