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    Enzo ou comment parler de lutte des classes de manière originale

    Les pauvres sont pauvres. Les riches sont riches. Et le cinéma, qu’on l’appelle social ou engagé, aime représenter le fossé qui sépare les premiers des seconds. Il n’y a aucun jugement de valeur négatif là-dedans, au contraire, il est même sain qu’une société s’efforce de mettre en lumière les injustices qu’elle porte encore en son sein. Cependant, on ne peut pas omettre certaines constantes dans ces représentations. D’une part, le protagoniste fait toujours partie du premier groupe cité, d’autre part, le ton est lourd, sérieux, oppressant comme le poids qui pèse sur les épaules des plus précaires. Une des quelques manières de sortir de ce schéma, c’est la parodie, beaucoup plus rare au cinéma cela dit. Aussi, si l’on peut regretter la formule classique du film social, on appréciera forcément le parti pris d’Enzo, signé de la main de Laurent Cantet, décédé quasiment un an jour pour jour avant la première de ce qui restera son dernier long-métrage.

    Alors pourquoi Enzo c’est si original. Parce que le personnage éponyme est maçon. Wow, super original. Oui mais, il y a un gros mais. Parce qu’Enzo n’est pas l’histoire d’un mec qui galère sur les chantiers et qui souffre de sa condition de prolétaire. Non. Enzo c’est l’histoire d’un gosse de riche qui veut devenir maçon. Et ça, ça change tout. L’enjeu n’est donc pas du tout celui qui nous est montré en ouverture du film, celui d’un gamin de seize piges, pas super adroit, impulsif et colérique qui doit se faire une place sur les chantiers. L’enjeu c’est celui d’un enfant qui avait tout pour avoir un train de vie bourgeois et un métier qui paie mais qui a décidé de travailler de ses mains, de passer ses journées à construire les baraques des autres.

    Le concept de transfuge de classe est quasi-exclusivement réservé aux parcours de vie voyant une personne issue d’un milieu prolétaire réussir à s’en extraire au prix d’études, de travail, de mariage afin d’atteindre la bourgeoisie, ou à moindre échelle, la stabilité financière de la classe moyenne. Avec Enzo, c’est l’inverse qu’on questionne. Mais surtout, qui questionne ? Parce qu’à l’inverse d’un film dont le personnage principal tente de s’élever socialement et où le contexte socio-économique est l’obstacle central, ici, le jeune homme ne fait face qu’aux regards des autres sur son choix. Son frère, sa mère, son père, son boss, ses collègues, tout le monde se demande ce qu’il fout.

    Parce qu’au final, si prendre une voie différente de celle à laquelle on était destiné est une chose, cracher sur ses privilèges en est une autre, et elle est beaucoup moins bien vue. Comme pas mal de gamins de bonne famille, Enzo a toujours été encouragé à trouver un métier qui avait du sens. Pour le jeune homme du sens, c’est construire des maisons, créer de ses mains des objets qui durent dans le temps, même après que l’humanité ait disparu. Ce n’est pas mon interprétation, mais la paraphrase d’une réplique d’Enzo. Mais ce sens-là ne convient pas vraiment à son entourage. Lui qui pouvait tout choisir, ne pouvait, finalement, pas tout choisir.

    Et cet imaginaire qui pousse les proches d’Enzo à tout tenter pour le faire changer d’avis, c’est un univers qu’on partage tous. Preuve en est du vocabulaire qui est utilisé dans cet article. On parle d’ascension, d’élévation quand on gagne mieux sa vie, et de régression, de dégringolade quand on choisit une carrière moins rémunératrice que celle de la génération précédente. Il y a presque une vision religieuse là-dedans, comme si le choix d’Enzo profanait le sacré que représente la réussite de ses parents.

    En renversant le concept de transfuge de classes, le film met en évidence la hiérarchie persistante qui existe toujours entre les métiers manuels et ceux dits intellectuels. Aussi difficile qu’il puisse être pour une personne issue d’un milieu précaire et défavorisé d’intégrer le monde bourgeois, il est intéressant de s’attarder sur la peur de la dégringolade sociale une fois que cette ascension est complétée. Perçu comme contre-nature, le choix de carrière d’Enzo incarne ce rapport de domination de classe et à quel point le dialogue entre le haut et le bas semble impossible.

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    EnzoRéalisateurs : Laurent Cantet et Robin CampilloGenre : DrameActeurs et actrices : Eloy Pohu, Pierfrancesco Favino, Élodie BouchezNationalité : France, Belgique, ItalieDate de sortie : 2 juillet 2025Présenté à la Quinzaine des Cinéastes au Festival de Cannes 2025 Les pauvres sont pauvres. Les riches sont...Enzo ou comment parler de lutte des classes de manière originale