Les enfants terribles : entre amour et venin

© Christophe Raynaud

De Jean Cocteau et Philip Glass. Mise en scène de Phia Ménard. Avec François Piolino, Mélanie Boisvert, Ingrid Perruche, Olivier Naveau, Jonathan Drillet, Nicolas Royez, Flore Merlin et Emmanuel Olivier. Les 10 février et 11 février 2023 au Théâtre National.

Au milieu du plateau, une structure de trois parois occultées par des stores verticaux. Une femme et deux hommes tout de blanc vêtus saluent le public. Trois pianos, blancs, sont amenés par un plateau circulaire tournant. Les musiciens s’installent et commencent à jouer tandis que le plateau les fait tourner autour de la structure qui tourne à contresens.

La structure s’immobilise, cachant les pianos dont les notes continuent à s’égrener. Un homme en veste fluo arrive sur le plateau, s’assied et parle d’Élisabeth, de Gérard, de Paul et de Dargelos, l’idole de Paul. Ce dernier a été touché en plein cœur lors d’une bataille de boules de neige, « il meurt », dit le narrateur avant de prendre une photo polaroïd de deux poupées à l’effigie de Paul et de Dargelos.

Des voix commencent à chanter, une ombre de femme apparaît derrière les stores. Un homme âgé arrive en chantant. Il pousse devant lui une chaise roulante avec un homme tout aussi vieux. La structure pivote et s’ouvre sur une chambre d’hôpital ou de maison de repos. Élisabeth accueille son frère Paul sur la chaise roulante et Gérard son ami d’enfance. On sent bien que le frère et la sœur se détestent cordialement même s’ils ne peuvent se passer l’un de l’autre.

Après le passage du médecin qui insiste pour qu’ils prennent, tant Paul qu’Élisabeth, leurs médicaments. Cette dernière, dont la vie se résume à s’occuper de son frère et de leur mère mourante, pose un casque de réalité virtuelle sur le crâne de Paul et en fait autant sur le sien. C’est ce qu’elle appelle hypnotiser mais qui fondamentalement constitue un substitut au rêve.

Les enfants terribles, roman de Jean Cocteau paru en 1929, parle de la passion au travers de l’histoire « incestueuse » des deux frère et sœur mais aussi de l’histoire d’amour « homosexuelle » de Paul pour Dargelos qui réapparaît sous les traits d’une femme, Agathe. Celle-ci est amoureuse de Paul.

Plus que le roman, c’est l’adaptation au cinéma réalisée par Jean-Pierre Melville en 1950 qui a inspiré le compositeur Phillip Glass qui a transformé le récit en un opéra pour 4 voix et 3 pianos. A la demande de l’Opéra de Rennes, Phia Ménard met en scène cette « interprétation d’une interprétation » qu’elle transpose du monde de l’adolescence à celui du vieillissement. Elle établit un lien entre ces deux univers considérant que l’un comme l’autre subit parfois l’isolement par rapport au reste de la société.

La scénographie est éblouissante au même titre que les costumes de la dernière partie. La scène tournante (en trois cercles concentriques, la musique omniprésente, le chant et le texte confère à ce deuxième opéra ( après In Arcadia Ego) mis en scène par Phia Ménard une cadence soutenue. L’amour côtoie la mort dans une puissance et une beauté tragiques.