Les deux vies de Pénélope, ou comment reprendre une vie normale après l’horreur de la guerre

Extrait d’une image de la BD « Les deux vies de Pénélope » de Judith Vanistendael (Le Lombard, 2019)

Couverture de la BD « Les deux vies de Pénélope » de Judith Vanistendael (Le Lombard, 2019)
Scénario et dessin : Judith Vanistendael
Éditeur :  Le Lombard
Sortie : 6 septembre 2019
Genre : Roman graphique

Les deux vies de Pénélope est une bande dessinée qui raconte la difficile expérience du « retour à la maison » pour une chirurgienne belge qui travaille à Alep en Syrie en pleine guerre civile. Confrontée à la violence quotidienne, Pénélope se sent déconnectée des préoccupations de sa famille lorsqu’elle est de retour en Belgique.

Malgré le soutien moral de son mari et de sa fille de 13 ans, Pénélope a de plus en plus de mal à séparer les deux mondes. Hantée par la mémoire d’une jeune fille morte, elle consulte un psychologue pour tenter de mieux gérer ses émotions. Alors que Noël approche, l’examen de latin de sa fille et la décoration du sapin lui semble bien dérisoires face aux drames dont elle a fait l’expérience en Syrie.

L’autrice et dessinatrice Judith Vanistendael offre dans Les deux vies de Pénélope un portait subtil et attachant d’une femme qui souffre du décalage avec son entourage sans pour autant avoir la volonté d’y mettre un terme. Contrairement à la Pénélope d’Ulysse dans L’Odyssée d’Homère, la Pénélope de Judith Vanistendael a besoin de vivre dans l’immédiateté, dans l’urgence de l’action. Comme le personnage d’Alexandra dans le roman Trois incendies de Vinciane Moeschlertre, elle ne peut plus s’épanouir dans le quotidien d’une vie domestique bien rangée.

Visuellement, le motif récurrent du « fil » permet de suggérer une foule de sentiments. Outre l’allusion au fil que Pénélope tisse, avant de le défaire la nuit, dans L’Odyssée, il évoque le fil chirurgical, la fragilité de la vie, mais aussi la réparation et la guérison, ou encore la continuité entre des moments de la vie qui paraissent parfois inconciliables tant ils sont différents. Adepte des métaphores poétiques, l’autrice met parfois en parallèle des éléments apparemment sans lien entre eux pour mieux suggérer le sentiment de décalage ressenti par son personnage. Ainsi, le sang des premières règles de sa fille est évoqué en même temps que le sang des victimes de la guerre en Syrie.

En mêlant des traits au crayon à des aplats de couleurs aux contours flous de type aquarelle, Judith Vanistendael créé par ailleurs des effets de relief intéressants, notamment avec les vêtements. Le flou des couleurs fait écho au chaos des pensées de Pénélope, dont les visions oniriques évoquent parfois des images et des situations confuses qui créé un sentiment de trouble chez le lecteur.

Les deux vies de Pénélope offre ainsi un regard singulier sur une tranche de vie. Celle d’une femme et d’une famille pas comme les autres… et pourtant pas si différente des autres. Ce roman graphique aborde un sujet difficile avec une certaine gravité, sans idéalisme, mais avec suffisamment de tendresse et d’humour pour en faire une belle histoire.

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