
Hayao Miyazaki and the Heron
Réalisateur : Kaku Arakawa
Genre : Documentaire
Avec Hayao Miyazaki, Toshio Suzuki
Nationalité : Japon
Date de sortie : 4 juin 2025
Dans Hayao Miyazaki and the Heron (2025), le documentaire réalisé par Kaku Arakawa, le spectateur est invité à pénétrer l’atelier feutré du maître de l’animation japonaise, au cœur du processus créatif de ce qui est annoncé comme son ultime long métrage, Le Garçon et le Héron (2023). Arakawa, qui suit Miyazaki pendant près d’une décennie, capte avec une rare intimité les doutes, les fulgurances et la persévérance d’un artiste de 82 ans, décidé à défier le temps et lui-même pour offrir une dernière œuvre à la hauteur de son exigence.
À travers ce film, on découvre les mois, puis les années, nécessaires à la naissance de Le Garçon et le Héron, fable mélancolique sur le deuil et le passage, réalisée intégralement à la main, à contre-courant de l’animation numérique. Plus qu’un simple “making-of”, Hayao Miyazaki and the Heron est un portrait vibrant d’un créateur habité par son art, et d’un homme en lutte avec l’idée même de finitude. Un documentaire à la fois pudique et profondément inspirant, qui révèle ce que signifie, pour Miyazaki, continuer à rêver le monde à travers le dessin.
Dans film, le temps est partout. Il se manifeste dans la lenteur du dessin, dans l’accumulation patiente des gestes, dans les silences du studio, mais aussi dans les rides du maître, dans les tremblements de sa voix, dans les soupirs d’un homme qui sait qu’il n’a plus vingt ans — et pourtant continue de créer comme s’il en avait encore l’élan. Ce rapport complexe au temps est au cœur du documentaire : Miyazaki est un vieil homme au cœur d’enfant. Il observe les jeunes comme un garçon curieux, s’émerveille d’un mouvement de vent ou d’un regard croisé. Il dessine pour ne pas vieillir tout à fait. Son horloge biologique le rappelle constamment à l’ordre, mais son esprit, lui, ne cesse de vouloir bâtir. Le paradoxe est saisissant : il court après un film qu’il n’a pas le temps de finir, tout en savourant chaque moment du processus.
Ce que le documentaire révèle avec finesse, c’est combien l’œuvre de Miyazaki est indissociable de sa vie. Il ne crée pas à distance : il infuse ses films de tout ce qu’il est, de tout ce qu’il traverse. Le paysage qu’il observe depuis son bureau devient celui de ses histoires. Le moindre changement d’humeur se reflète dans la tonalité d’une scène. Les visages de ses proches hantent ou inspirent ses personnages. Le documentaire agit comme une loupe sur cette alchimie secrète, où la vie et l’art ne font qu’un. Les films de Miyazaki sont des autobiographies dessinées. Il ne s’y raconte pas de manière frontale, mais chaque plan, chaque créature, chaque mouvement de caméra exprime un état d’âme, une pensée du moment, une blessure ou un espoir.
Le projet de Le Garçon et le Héron naît d’un vide. Un vide laissé par ceux qui ont accompagné Miyazaki tout au long de sa carrière : Isao Takahata (Paku-san), son ami et rival de toujours ; Michiyo Yasuda (Yacchin), sa coloriste fidèle ; ou encore Yasuo Otsuka, Osamu Kameyama, ses animateurs de l’ancienne génération et d’autres proches qui ont indéfectiblement marqués a vie. Ces absences creusent le film, elles en forment la texture émotionnelle. Miyazaki, que l’on voit d’ordinaire pudique, laisse affleurer ici une immense fragilité. Il n’est plus seulement un créateur, il est un survivant. Le film qu’il réalise devient une réponse au silence laissé par les disparus. Chaque geste de création devient un geste de deuil, un moyen de prolonger ce qui a été perdu. La lenteur du projet, étalé sur près de dix ans, n’est pas qu’un fait de production : elle est le rythme naturel d’un esprit endeuillé qui cherche la lumière.
« Mon cerveau est cassé, je pense. » Cette phrase, répétée à plusieurs moments du documentaire, résume l’ambivalence du processus créatif chez Miyazaki. Créer est à la fois une libération et une prison. Il ne peut pas s’arrêter, non par vanité, mais parce qu’il ne sait pas vivre autrement. Le dessin est sa manière de survivre, d’exister malgré la fatigue, malgré la fin qui approche. Il s’impose des échéances, des scénarios inachevés, des défis impossibles, non pour les résoudre, mais pour rester en mouvement. Ses films, souvent habités par des figures de mentor ou de doubles, deviennent des miroirs de cette tension intérieure. Comme ses personnages, il avance grâce à des maximes, des souvenirs de ses maîtres, des visions puisées dans la contemplation. Une promenade, un vol d’oiseau, le reflet d’un arbre dans l’eau : tout devient source. Tout l’aide à tenir debout.
Avec Hayao Miyazaki and the Heron, le maître de l’animation ne signe pas seulement un documentaire sur la fabrication d’un film, mais un autoportrait en creux d’un homme qui ne cesse de lutter contre l’effacement. Chaque œuvre qu’il nous offre est une tentative de conversation silencieuse, un échange pudique entre son monde et le nôtre. Miyazaki ne cherche pas à expliquer, mais à transmettre — des émotions, des vérités simples, des visions du monde. Comme s’il s’asseyait à côté de nous, en silence, pour nous dire : regarde, ressens, rêve.