Les Gardiennes, pas à la hauteur du combat mené

Les Gardiennes

de Xavier Beauvois

Drame

Avec Nathalie Baye, Laura Smet, Iris Bry

Sorti le 6 décembre 2017

A l’heure où les mobilisations sont de plus en plus fortes pour lutter contre le sexisme ambiant, on se réjouissait de découvrir Les Gardiennes, un film qui s’annonçait résolument féministe décrivant les conditions de travail et de vie de femmes vaillantes dans le monde rural durant la Première Guerre mondiale. Engagées dans l’effort de guerre, elles ont remplacé les maris dans les champs et ont pris une nouvelle place dans la société d’après-guerre. Hélas, on a vite déchanté car même si les femmes occupent bien le terrain dans le nouveau film de Xavier Beauvois (Des hommes et des Dieux), le sujet n’est pas aussi bien mené qu’espéré.

Librement adapté du roman éponyme d’Ernest Pérochon sorti en 1924, le long-métrage nous mène sur un territoire peu fréquenté lors des évocations de la Grande Guerre, celui du monde des femmes dans les fermes. L’histoire débute en 1915, dans le Limousin. Les hommes ont déjà été appelés sous les drapeaux et reviennent du front le temps d’une permission. Dans la famille Paridier, c’est la doyenne Hortense qui gère le patrimoine familial. Elle vit avec son frère aîné et sa fille Solange. Ses deux fils ainsi que son gendre ont été mobilisés. Pour faire face au dur labeur dans les champs, Hortense a fait appel à une jeune fille de l’assistance publique, Francine. Celle-ci est très compétente dans les tâches qui lui sont assignées. Peu à peu, une relation de confiance s’installe entre la jeune fille et la patronne. Francine entretient également une relation épistolaire avec un des fils de Hortense dont elle est éprise. Chez les Paridier, l’orpheline a vraiment l’impression d’avoir trouvé une famille. Mais la situation se complique avec l’arrivée d’Américains dans le village.

Là où le roman rendait hommage aux « gardiennes » de la ferme, des animaux et de la subsistance du quotidien affrontant un travail harassant avec courage et détermination, mises durement à l’épreuve par les intempéries et les multiples tâches auxquelles elles n’étaient pas familiarisées, le film ne s’attache pas véritablement à dépeindre la pénibilité de leur labeur quotidien. Si Beauvois fait montre de sobriété dans sa réalisation avec une narration linéaire classique qui s’étale sur plusieurs saisons et années rythmées par les moissons, il ne parvient pas à représenter avec justesse le combat de femmes héroïques pour faire face à leurs nouvelles responsabilités.

Hormis quelques éclats de guerre qui proviennent de cauchemars de Georges, un des fils en permission, le film se tient soigneusement en retrait du front et de ses horreurs. Dans l’arrière-pays, tout apparait paisible, très loin de l’âpreté des combats. Mais l’attente du courrier et la peur d’une mauvaise nouvelle rendent la douleur plus sourde et insidieuse dans les foyers. Le jeu des comédiennes est dès lors plus intériorisé et peu démonstratif. Mais c’est surtout lors des travaux dans les champs que les actrices et figurantes peinent à convaincre, dans leurs manières d’accomplir de nouvelles tâches. Dans l’ensemble, elles apparaissent à l’écran désincarnées, trop lisses, trop propres, trop sereines pour conduire à bien la pile de corvées qui les attend au quotidien. Nathalie Baye, pourtant métamorphosée physiquement (grand-mère aux cheveux gris), joue avec trop de détachement son rôle de matriarche. Iris Bry, actrice sans expérience, s’en sort un peu mieux dans le rôle de l’orpheline qui va finir par s’affranchir.

Si la direction d’acteurs laisse à désirer, le film est néanmoins une réussite sur le plan esthétique. Il se décline en petits tableaux où chaque plan apparait soigné, où la lumière signée Caroline Champetier tombe parfaitement. Mais le réalisateur français semble viser l’art à tout prix en optant pour une stylisation de son film au détriment d’une approche véritablement réaliste. Il brosse donc le portrait de la société rurale dans un film plus pictural qu’historique.

On note quelques thématiques intéressantes abordées dans le long-métrage. L’apparition de la mécanisation des gestes techniques qui marque un passage entre les traditions ancestrales et la modernité est bien représentée par l’évolution des machines agricoles dans les champs. La question de la fidélité des femmes et de la jalousie des Poilus envers les soldats américains est également évoquée. Mais le film aurait gagné à être plus resserré (deux heures et quart) car il délivre véritablement sa charge émotionnelle durant la dernière demi-heure. C’est un peu trop long pour ce qu’il a à raconter.