« Dona Lourdès », un concentré de beauté et de sens

De Némo Camus. Mise en scène de Némo Camus, Robson Ledesma et Nathalia Kloos. Avec Robson Ledesma. Présenté dans le cadre du festival Itac, du 16 au 24 février à l’Atelier 210.

Un homme, en habits à franges, répand consciencieusement des confettis sur toute la surface du plateau. Une musique aux allures militaires ou de revue, mais qui va rapidement prendre des accents de samba, se fait entendre. Il se met à danser dans les confettis.

Une voix de femme parle puis reprend les paroles de la chanson (en portugais avec traduction sur un écran). « Métisse, tu n’es pas de cette planète ». La même voix parle, en français, d’Orphée, d’Eurydice, de la jalousie et de son rôle de marquise dans le film « Orfeu Negro » (1959).

L’homme s’arrête de danser en même temps que la musique. Il scrute le public puis entraîne son corps dans un mouvement sensuel en dispersant d’autres confettis qu’il puise dans les poches de son vêtement.

Il s’agit d’extraits d’entretiens radiophoniques réalisés par l’auteur, Némo Camus, avec sa grand-mère, Maria de Lourdès Ribeiro de Oliveira, dit Lourdès de Oliveira, qui tenait le rôle de Mira dans le film de Marcel Camus. Elle y raconte l’histoire de sa vie, de son enfance à Rio à ses premiers émois, de l’inconnu de son père blanc à la fierté de sa mère noire, de son mariage à son expatriation en Europe.

Sur fond de bruits de vagues qui s’échouent sur la plage, la voix explique qu’elle est née à Rio de Janeiro, place Onze, où a été fondée la première école de samba. Sa mère, analphabète, femme de ménage noire issue d’un milieu populaire, a appris à lire et écrire seule. Elle a payé des études, dans le privé, à ses enfants. Son père, fils d’une famille bourgeoise d’origine portugaise, ne la reconnaîtra jamais. Sa mère est noire métisse, du côté de son père, toute la famille est blanche.

Elle décrit une femme vêtue d’une jupe élégante rose pastel, jeune à la peau claire, assise un enfant sur ses genoux. A côté d’elle, une femme plus âgée, le teint foncé, lève les mains au ciel. Le bébé à la peau blanche tient une orange dans la main tandis que le père, également assis et blanc, semble distant. « On dirait une photo de famille, dit-elle, la nôtre. Vraie, grotesque, raciste « . Il s’agit, en fait d’une toile de Modesto Brocos intitulée « La Rédemption de Cham » (1895). Conservé au Museu Nacional de Belas Artes à Rio, ce tableau offre une vision candide mais néanmoins raciste du métissage brésilien. Le teint clair du petit-fils d’une ancienne esclave, fruit de sa fille mulâtre et d’un émigrant, y est, en effet, présenté comme inexorable.

Cette scène qui pourrait illustrer l’histoire de Dona Lourdès constitue l’un des archétypes du Brésil, promu pour son métissage mais profondément raciste. Le blanchiment de la race, o branqueamento racial, qui pronostique le blanchiment de la race noire est tellement ancré dans les corps qu’elle-même, la mulatta carioca, s’exilera et aura des enfants blanchis avec un mari européen. Aujourd’hui, les cinq petits enfants de Dona Lourdès sont tous blancs.

Dans cette démarche documentaire et fictionnelle, la vidéo, la musique, la lumière, les costumes et les corps racontent, chacun avec leur langage propre, un fragment d’histoire. Celle de la danseuse et comédienne comme point de départ d’un questionnement sur la façon dont nos corps témoignent sur qui nous sommes. Descendant d’une femme de ménage noire, Némo Camus est blanc parce que sa race a été blanchie. Et sa grand-mère, belle et gracieuse, a véhiculé au travers de la danse classique, du ballet moderne puis de la samba, en passant par son rôle dans « Orfeu Negro », une image de carte postale qui souligne également les paradoxes de son pays, toujours tiraillé entre mixité et racisme.

Une partie de la famille de l’auteur est originaire du Brésil dont il n’a jamais foulé le sol alors qu’il est le pays de naissance, qu’il a quitté, du danseur et performeur Robson Ledesma. Ce dernier porte avec énergie et finesse toute la partie chorégraphique du spectacle. Il parvient, notamment, dans cette scène carnavalesque fascinante, à imprimer à ses pas de samba des gestes, des postures des (presque) pointes propres à la danse classique. « Dona Lourdès » est un concentré de beauté et de sens.