Chimères, le fond, la forme et la manière.

© Ours Blanc Studio Prod.

Écriture et jeu Astrid Akay, Marie Bourin, Victoria Lewuillon. Du 6 décembre au 16 décembre 2023 au Rideau de Bruxelles.

Le départ est clair, cadré, presque trop. Trois femmes, très rapidement attablées face à leur public, un PowerPoint en arrière-plan. Le spectateur mal renseigné commence à avoir des certitudes : c’est plus une conférence qu’une pièce de théâtre qu’il est venu voir. Mais quelque chose dénote : cette question. Cette question, première parole de la représentation, cette fausse question qui, à la fois, fait tomber le quatrième mur et joue avec l’audience. En effet, cette question n’en est pas une, ou une question rhétorique à la limite. Le flou quant au registre, quant au genre, quant au rythme de ce que nous allons voir est jeté, un flou qui ne perd pas, un flou qui surprend, qui tient en haleine, un flou qui répond à une logique, celle de l’expérimentation.

Et quelle meilleure logique que l’expérimentation quand le postulat de base est le suivant : suite aux travaux d’un zoologiste belge, trois femmes sont parties à la recherche d’un ptérodactyle survivant au Mexique ? Si l’axiome paraît loufoque, il n’en est pas moins véritable. Et c’est ici tout le sel de la pièce, ce jeu avec la réalité. Celle des faits énoncés, bien entendu, mais aussi celle de la représentation elle-même, qu’est-ce qui est prévu, qu’est-ce qui ne l’est pas ?

Et puis l’expérimentation. À l’image du scientifique faisant et vérifiant ses hypothèses, les trois comédiennes et autrices envoient leurs réflexions çà et là donnant à l’ensemble apparence de patchwork multicolore, une pensée qui avance par essai-erreur. De cette recherche quasi anarchique naît un mélange des genres, de la comédie pure au chant en passant même par un moment franchement effrayant. Et de ce mélange découle un faux rythme, un tempo très fluctuant. On s’arrête, on souffle, on se remet de ses émotions dans une pause lyrique avant de repartir de plus belle vers quelque chose qu’on n’avait pas vu venir.

C’est par son aspect inattendu que Chimères ravit. Accepter la surprise, accepter de se faire porter par un récit protéiforme. La Chimère est-elle ce que les autrices cherchent ou ce qu’elles ont créé ? La quête du ptérodactyle devient presque secondaire à mesure des trouvailles, un nouvel objectif, une nouvelle hypothèse : la Llorana. Et ainsi on troque les dinosaures contre la mythologie précolombienne, la préhistoire pour la colonisation. Comme un récit de vie, Chimères serpente entre émotion et rire, entre fiction et réalité, entre idée de mise en scène et véritable volonté d’informer. Chimères c’est fou, c’est frais. C’est peut-être fou parce que c’est frais ou c’est peut-être frais parce que c’est fou. Ce qui est vrai, c’est qu’on s’en fout, et c’est pour ça que c’est génial.