Anders Petersen : Archive et marge

Titre : Anders Petersen
Auteur : Christian Caujolle
Editions : Actes Sud – Photo poche
Date de parution : Mars 2024
Genre : Arts, Photographies

Il voulait être journaliste ou peintre. Finalement, il sera un peu des deux. La photographie d’Anders Petersen est informative. Elle détrousse la réalité et expose son butin avec franchise. Et pourtant elle est aussi vaporeuse, comme estompée par les choix de l’artiste. Deux évènements datent la genèse de son travail. D’abord, il a dix-huit ans et il tombe amoureux de la contre-culture hambourgeoise. Puis, il y a cette photographie du cimetière Montparnasse en hiver. Des traces de pas se détachent de la neige comme si le photographe qui avait voulu surprendre les macchabées dans leur fugue, était arrivé trop tard. Quelques années plus tard, Petersen publie ses clichés du café Lehmitz, marquant le début de sa carrière.

Le café Lehmitz est un bar emblématique du quartier rouge de Hambourg, où se massent les marginaux de la ville. Prostituées. Paumés. Proxénètes. Et vieux loup de mer. Contre quelques heures de gardiennage, Petersen y obtient le gîte. Il a désormais tout le loisir de se donner à son art. Il capture l’espace sous toutes ses coutures. Naît chez lui l’amour du huis clos et ce besoin de s’emparer d’un lieu jusqu’à l’épuisement. De vivre son sujet. « Pour que la photo soit bonne, il faut toujours avoir un pied dedans et un pied dehors. Mon problème c’est que je finis toujours avec les deux pieds dedans ! » déclarait, à l’époque, Petersen. Dans l’hommage que lui rend Photo Poche, on retrouve certains de ses clichés pris dans les effluves alcoolisées du bar. Deux hommes, torse-nu, se déclarent la guerre sous les encouragements d’un public ivre. Un coquin en veston de cuir fait passer sa main sous le lourd jupon d’une femme dont on découvre le porte-jarretelle.

Le portrait de ces laissés-pour-compte rencontre celui d’autres franges marginalisées de la population. Dans cette compilation, on voyage du café Lehmitz à la prison d’Österaker, en passant par les maisons de repos et hôpitaux psychiatriques. Des clichés dérobés en ville, pris dans le but de tenir une sorte de city diary, viennent compléter cette fresque impétueuse. Même si c’est la marque de fabrique de la collection, on regrette le désordre avec lequel s’organise la mise en page. Le manque de chronologie fait perdre au travail de Petersen ses qualités immersives. On saute d’un endroit à un autre, pour finalement revenir au premier. Les clichés sélectionnés sont aussi envoûtants que dérangeants. Mais le manque de commentaire en rend certains lugubres, voir éthiquement problématiques. Est-ce un viol auquel on assiste, alors qu’on se retrouve, dans un angle de vue étrange, face à un corps de femme à moitié nu, tordu entre les mains de policiers ? De son travail, ou du moins de la représentation qu’en donne Photo Poche, on retiendra certes de la violence. Mais surtout de l’humanité. Une sensualité mélancolique. Et quelque chose d’absent, presque fantomatique.