Titre : A quoi pensent les abeilles ?
Auteur.ice : Mathieu Lihoreau
Edition: Alpha / Humensis
Date de parution : 19 mars 2025
Genre du livre : Essai
Elles sont petites, laborieuses et familières. Mais que se passe-t-il vraiment dans la tête d’une abeille ? C’est à cette question aussi simple qu’ambitieuse que s’attelle le chercheur en éthologie Mathieu Lihoreau dans son ouvrage À quoi pensent les abeilles, qui allie rigueur scientifique et talent de conteur pour faire émerger un portrait saisissant de l’intelligence chez les insectes.
Les abeilles ont-elles une mémoire ? Une culture ? Des émotions ?
Loin des clichés bucoliques sur les insectes pollinisateurs, l’auteur s’attache ici à démontrer que les abeilles, malgré la simplicité apparente de leur système nerveux, développent des compétences cognitives complexes et possiblement des formes rudimentaires de subjectivité. À partir d’expériences rigoureuses menées dans son propre laboratoire et au fil de la littérature internationale, Lihoreau expose une série de capacités étonnantes : mémoire spatiale, apprentissage par renforcement, discrimination symbolique, anticipation, prise de décision contextuelle… Il détaille par exemple comment certaines abeilles parviennent à mémoriser des itinéraires optimisés entre plusieurs sources de nectar, ou encore à généraliser un stimulus à partir d’une expérience isolée.
Le cœur épistémologique du livre repose sur une interrogation audacieuse : les abeilles sont-elles conscientes de leurs actions ? Sans jamais trancher de manière définitive — et sans verser dans l’anthropomorphisme — Lihoreau explore les indices comportementaux qui pourraient suggérer une forme de proto-conscience : attention soutenue, préférence individuelle stable, réactions émotionnelles conditionnées… Ce que le livre montre, c’est qu’une autre forme d’intelligence est possible, indépendante des standards anthropocentrés.
Un livre de science, mais aussi un livre d’éveil
Accessible sans être simpliste, À quoi pensent les abeilles alterne entre récits de laboratoires, expériences fascinantes et réflexions plus profondes sur la sentience, la perception du monde et la possibilité d’une conscience non humaine. L’ouvrage réussit avec brio à décloisonner les savoirs. Il s’adresse autant aux amateurs de nature qu’aux philosophes de la conscience, aux étudiants en biologie qu’aux lecteurs curieux de sortir des sentiers battus.
Dans un style limpide, parfois poétique, l’auteur parvient à faire exister l’abeille comme sujet — un être dont la vie intérieure, bien que différente, mérite d’être pensée. Ce n’est pas un traité, pas un manifeste — c’est une invitation à s’approcher. À regarder autrement celles que nous croisons sans voir : ces ouvrières du ciel, si petites, si nombreuses, qu’on finit par oublier qu’elles sont aussi des individus.
Dans un second temps, il nous invite également à reconsidérer le statut éthique de ces insectes, à l’heure où leur disparition menace l’équilibre écologique mondial. Si l’abeille manifeste des capacités d’apprentissage, de douleur, voire de plaisir, que cela implique-t-il pour les pratiques agricoles, industrielles ou expérimentales ? L’auteur appelle à un réexamen du statut moral des insectes, encore largement absents des chartes de bien-être animal. Car si les abeilles pensent — un peu, beaucoup, différemment — alors peut-être méritent-elles plus qu’une ruche : elles méritent notre attention, notre protection, et notre respect.
À quoi pensent les abeilles n’est pas un simple ouvrage de vulgarisation. C’est un livre-pollen, chargé d’invisible, prêt à féconder en nous d’autres manières de penser la vie. Après sa lecture, il devient difficile de regarder une abeille sans se demander, en secret : à quoi pense-t-elle, là, exactement ?
Peut-être à rien. Peut-être à tout. Peut-être à une fleur qu’elle aimait. Et c’est cela, finalement, que ce livre nous enseigne : penser, ce n’est pas forcément parler, ni peser, ni raisonner. Penser, c’est être au monde avec une intensité singulière. Et les abeilles, c’est certain, sont au monde comme peu d’êtres savent l’être.