A German life, les petites mains du régime nazi

Une pièce de Christopher Hampton, mise en scène par Simon Paco, avec Jacqueline Bir. Du 8 mars au 30 avril 2022 au Théâtre Le Public.

Après La plus précieuses des marchandises en janvier, le Théâtre Le Public propose un nouveau « seule en scène » sur fond de deuxième guerre mondiale avec A German life. Publiée en 2019 par Christopher Hampton, cette pièce de théâtre a fait l’objet d’une adaptation cinématographique dont la sortie est attendue cette année, avec Maggie Smith dans le rôle-titre. C’est ici l’actrice Jacqueline Bir qui se glisse dans la peau de Brunhilde Pomsel, une secrétaire au service de Joseph Goebbels, bras droit d’Hilter et chef de la propagande nazie.

Un monologue sous forme de confession

Brunhilde Pomsel n’a pas encore vingt ans quand elle est recrutée comme secrétaire par un entrepreneur juif dans le Berlin des années 1930. Douée pour la dactylographie, elle rêve d’un travail de bureau pour échapper à la vie domestique de sa mère. Alors que l’Allemagne subit encore les conséquences de la crise de 1929 (inflation galopante, chômage de masse), elle cherche à se faire une place pour subvenir à ses besoins et finit par entrer au service de la radiotélévision allemande, ce qui l’amènera ensuite à être recrutée par les secrétaires personnels de Goebbels au sein du Ministère de la propagande nazie.

A German life est en quelque sorte la confession de Brunhilde. Partiellement fictionnalisé, le texte s’inspire du témoignage que la vieille femme a accordé à des cinéastes autrichiens peu de temps avant sa mort en 2016, après avoir longtemps gardé le silence sur cet épisode de sa vie. Avec beaucoup de justesse, Jacqueline Bir incarne cette femme solitaire faisant le bilan de sa vie, attendant la mort avec sérénité. La mise en scène est extrêmement sobre : mises à part quelques images vidéos projetées en guise d’introduction, le décor reste fixe et la comédienne s’adresse au public de son fauteuil pendant toute la pièce, sur le mode de la confession intime.

Une réflexion sur la banalité du mal

Tout est dans le jeu de l’actrice. Déroulant le récit de sa vie de manière chronologique, Brunhilde laisse libre court à ses souvenirs tout en admettant que sa mémoire lui joue parfois des tours. Cette fragilité de la mémoire est d’ailleurs un élément essentiel du jeu de l’actrice : Jacqueline Bir joue des silences, des moments d’oubli et d’émotion pour créer une impression d’authenticité, de telle sorte que le spectateur a vraiment l’impression d’une discussion en tête à tête avec Brunhilde.

Cette proximité entre comédienne et spectateurs n’est d’ailleurs pas sans créer un certain malaise : Peut-on croire Brunhilde quand elle dit n’avoir découvert que les Juifs étaient gazés dans les camps qu’une fois la guerre terminée ? Ne cherche-t-elle pas à éluder sa responsabilité en se décrivant comme « non coupable », sinon « seulement coupable de stupidité » et d’ignorance ? Comment comprendre sa détresse à l’annonce du suicide de Goebbels et de sa famille, alors que le génocide des Juifs ne semble pas l’affecter au même titre ? En mettant en avant la parole de Brunhilde sans contrepoint, A German life laisse le spectateur répondre seul à ces interrogations. Une pièce à la fois touchante et troublante sur la responsabilité morale de chacun(e) d’entre nous face à nos choix de vie.

A propos Soraya Belghazi 373 Articles
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