Songes de méta-théâtre avec Eloge de l’altérité au théâtre Océan Nord

© Michel Boermans

Conception et texte Isabelle Pousseur. Avec Isabelle Pousseur, Paul Camus, Amid Chakir, Francesco Italiano, Bogdan Kikena, Chloé Winkel & Jean-Luc Plouvier, piano. Du 14 février au 25 février 2023 au Théâtre de l’Océan Nord.

Éloge de l’altérité a été nominé dans la catégorie Meilleur spectacle aux Prix Maeterlinck de la Critique 2022. Créé lors du Festival Mouvements d’altérité en octobre 2021 à Océan Nord, le texte entreprend de lier ce terme plurielle et métissé au monde de théâtre. Cette conférence-spectacle s’est faite sous l’impulsion de la directrice Isabelle Pousseur qui décèle un grand vide dans le domaine du théâtre et a pour objectif de travailler la mémoire sur un plan artistique.

La pièce se compose sous forme de conférences disséquant les différentes réceptivités que contiennent les rôles de spectateur, d’acteur et de metteur en scène et les sorts de leur dichotomie obsolète. Chloé Winkel, Paul Camus et Francesco Italiano – tout trois comédiens – se glissent dans la peau de différents personnages pour nous guider vers une vision allégorique de leur rapport aux arts de la scène. Christine Grégoire constitue sur le plateau un cocon propice aux échanges profonds, aux réflexions philosophiques et à l’endormissement comme le prouve l’interlocuteur d’Isabelle Pousseur qui sombre tandis qu’elle nous parle des songes shakespeariens. Le paravent, le tissu projectif et l’arrière-scène dessinent les notions d’espaces intermédiaires et d’envers du décor, une façon de rendre compte scéniquement de la pluralité du discours engagé.

En mettant sur le plateau une diversité de références larges, allant de Koltès – figure théâtrale mythique- à Twin Peack – selon une approche lynchéenne – la metteuse en scène vise juste et tente de toucher le public au sens large au-delà du monde élitiste du théâtre. Les monologues et motifs cachés sont bien souvent soustraits aux yeux du spectateur, le script finement étudié les remet en lumière et dessine les contours de l’œuvre d’art et de ses intentions. Les soliloques dialogués floutent les frontières entre personnage public et comédien nous proposant la transmission d’une histoire sous une forme nouvelle. Le piano de Jean-Luc Plouvier marque un temps de pause et d’écoute, permettant de digérer la masse d’informations. Jean-Sébastien Bach, Thélonius Monk, Schubert, Debussy, Chostakovitch constituent une polyphonie qui fait liant entre histoire de la société et Histoire de l’art.

Une pièce intéressante pour ceux qui souhaite prendre un temps pour réfléchir sur le domaine des arts scéniques en tant qu’objet et se détacher un moment du récit pour analyser les ficelles sous-jacentes, parties intégrantes de la grammaire actancielle. Cet art de la fugue, est justement souligné par la poésie de Mahmoud Darwish, poète majeur de la scène palestinienne invoqué dans le final.  La volonté d’Océan Nord d’être dans une dynamique évolutive en connexion intime et consciente avec le public est ainsi signée par la série d’outils de pensée présentés. La posture poético-théorique stimulera les esprits intellectuels, en revisitant des thèmes classiques de la philosophie de l’art.