Villa Dolorosa, un Tchekhov contemporain au Théâtre des Martyrs

De Rebekka Kricheldorf, dramaturgie & mise en scène de Georges Lini,  avec France Bastoen, Anne-Pascale Clairembourg, Isabelle Defossé, Thierry Hellin, Nicolas Luçon, Déborah Rouach. Du 20 septembre au 06 octobre 2019 au Théâtre des Martyrs.

Dans le salon de Villa Dolorosa, trois sœurs aux noms tchekhoviens, Irina, Macha et Olga, se ressemblent pour fêter l’anniversaire d’une d’entre-elles, trois fois de suite. La même scène se répète dans les années qui défilent dans cette habitation bourgeoise et le temps ne semble laisser des traces que dans le jardin en arrière-fond. Irina, elle, continue à étudier sans pourtant effectivement fréquenter l’université en passant du lit au canapé, Olga, est une professeure frustrée par la médiocrité de sa vie et Macha est emprisonnée dans un mariage qui ne l’a jamais rendue heureuse. Elles sont très liées entre elles et aussi avec leur frère Andreï, un intellectuel qui passe ses journées à écrire un livre jamais achevé. Sont invités à la fête aussi Georg, le seul ami d’Andreï, Janine, sa jeune femme issue d’un milieu plus modeste, et dizaines de bouteilles d’alcool.

Le temps passe, donc, et le spectateur est confronté à l’impasse de cette famille qui reproche à leurs parents bourgeois et russophiles de les avoir punis en leur donnant ce handicap qui est la culture, à cause de laquelle ils semblent ne pas trouver une place dans la société et rester cloîtrés dans leur immobilité. Ils ont perdu le sens de la vie, et donc ils boivent. Ils parlent de Nietzsche et de Schopenhauer, mais ils ne trouvent pas une bonne raison de se lever le matin, ils se lamentent de leur sort mais ils ne font rien pour pouvoir le changer. Ce qui est génial, dans ce spectacle, c’est que le spectateur en rigole sans que les personnages sans que les personnages cherchent à en faire rire. L’inertie dans laquelle la famille Freudenbach plonge de plus en plus est tellement répétitive est sincère qui devient drôle. L’écriture de Rebekka Kricheldorf est brillante et les échanges entre les comédiens ainsi que la création des personnages et des relations entre eux sont exhilarants.

Villa Dolorosa est une pièce intelligente et sagace qui réinterroge le rôle des classiques dans le théâtre contemporain et, de plus, le rôle du théâtre dans l’époque contemporaine. Les sujets du spectacle sont ceux que l’on retrouve dans Les trois sœurs de Tchekhov, notamment les dialogues existentiels, l’immobilisme, la passivité mais ils sont déclinés ici de manière tout à fait contemporaine, plus directe, sans filtre ni censure.

Au-delà des gouts, des « j’aime » ou «  je n’aime pas », c’est un réel plaisir d’assister à un spectacle qui est le résultat d’une démarche claire et intéressante et extrêmement pertinente.

En s’appuyant sur un texte brillant, la mise en scène de Georges Lini met en valeur l’aspect vivant du spectacle : les comédiens semblent habiter l’espace-temps d’une manière tellement sincère que pendant les applaudissements on est presque ému de voir les acteurs/personnages saluer et sourire.

On applaudit les talents mais aussi un travail qui respire l’authenticité.

A propos Elisa De Angelis 55 Articles
Journaliste du Suricate Magazine