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    Préjudice, froid sur la famille

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    Préjudice

    d’Antoine Cuypers

    Drame

    Avec Nathalie Baye, Arno Hintjens, Thomas Blanchard

    Sorti le 7 octobre 2015

    Cédric, trente ans, n’a pas d’amis, pas de gsm, pas de travail, mais il a une famille, et un rêve. Sa famille, ce sont ses parents, avec lesquels il vit encore, son frère Laurent, sa sœur Caro : tout un monde normal dans lequel, avec son étrangeté, ses angoisses, son indolence qui confine à l’inertie, son hypersensibilité et son inaptitude à se conformer aux codes sociaux, il détonne. Son rêve, c’est un projet obsessionnel de voyage en Autriche, que sa mère lui refuse : Cédric a beau se sentir « prêt » après l’ingurgitation intégrale de guides de voyage, ses troubles psychiques le rendent selon elle incapable de mener à bien cette aventure. Préjudice raconte une soirée dans la maison cossue des parents : celle où Caro a décidé d’annoncer sa grossesse, et Cédric d’exposer, à sa manière, sa souffrance.

    Famille bourgeoise, mère élégante, enfants gâtés et séduisants, conjoints cordiaux, annonce d’un heureux événement : la fête devrait être sans accroc. Mais il y a deux « mais » : l’un, c’est Cédric, la pierre qui dévie quand les autres roulent, le rappel incessant des limites au monde normal, la marge qui s’étale au cœur de la page. L’autre tient au style très particulier d’Antoine Cuypers, qui aime l’inquiétude et la sème partout où il passe, entre les bruits de la vaisselle et ceux du jardin, sur le pas feutré des chambres, dans le regard d’un enfant sage. Le ton nous éloigne ainsi dès le début du drame familial réaliste attendu, et ce décalage peut déconcerter. On peut en effet être agacé par l’esthétisme exacerbé de Cuypers, visiblement très inspiré par l’art — on pense notamment aux images du vidéaste Bill Viola. Sa tendance maniériste, son goût des dialogues très écrits, son usage de la musique dans les instants de tension donnent à l’ensemble un côté artificiel, froid et léché, souvent intrigant, souvent aussi un peu irritant. Mais c’est peut-être aussi dans ce refus de nous accorder le moindre confort que réside la singularité de ce film dérangeant : l’impression dominante est celle que « quelque chose ne colle pas ». Quelque chose ne colle pas dans la famille et les sentiments, dans la norme, dans les apparences et le jeu social : la grande force du film est de nous faire approcher cette sensation de trouble, sans chercher à la définir, sans se perdre dans les explications.

    Dans la position du spectateur, on se sent simplement exclu, incapable d’adhérer tout à fait à la situation : comme Cédric en somme, infiniment touchant, imprévisible, déstabilisant, fébrile, dont on sent battre la vie intense et le désir de faire partie du monde derrière le sourire ingénu. Le film ne nomme pas de coupable, ne s’étend pas sur les traumatismes, ne nomme pas la différence de Cédric : il cherche plutôt à traduire une « inquiétante étrangeté », cette sensation de malaise née des failles de la réalité, banale et rassurante. Il cherche aussi à montrer, sans jugement, loin des clichés, la difficulté qu’il y a à faire avec la présence de Cédric, et fait voguer notre empathie, notre compréhension, notre agacement, d’un personnage à l’autre. Mais c’est d’abord à Cédric, magnifiquement interprété par Thomas Blanchard, que l’on s’attache : à sa douloureuse envie d’être avec les autres, à son espoir, à sa détresse. Antoine Cuypers, avec une finesse et une humanité très personnelles, donne de la voix à tous les Cédric dont on ne connaît ni le malheur ni les rêves, ceux que l’on n’entend pas, que l’on n’écoute pas, peut-être à cause de la lumière glaçante qu’ils posent sur notre petite réalité réconfortante, pétrie de codes et de non-dits, si contraignante, si exclusive, si sourdement violente.

    Emilie Garcia Guillen
    Emilie Garcia Guillen
    Journaliste du Suricate Magazine

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