Titre : Une fratrie
Auteur.ice : Brigitte Reimann
Edition : Métailié
Date de parution : 14 février 2025
Genre du livre : Roman
Brigitte Reimann écrivait en RDA, durant cette période pas si lointaine où l’Allemagne était coupée en deux. Son roman, Une fratrie, est sorti en 1963. Censuré immédiatement, ce ne sera que bien des années plus tard, en 2021, que son manuscrit original sera découvert et publié à nouveau, avec sa charge contre le régime socialiste et ses descriptions d’une vie de femme sexuellement libre. L’écrivaine aura écrit plusieurs livres et décédera jeune, du cancer, en 1973. Traduit par les éditions Métailié en français, nous parvient donc aujourd’hui Une fratrie.
Une fratrie est le témoignage d’une époque qui pourrait relever de la science-fiction si l’actualité politique internationale du moment ne nous rappelait pas que la vie actuelle européenne n’est peut-être qu’une parenthèse. Elisabeth, peintre engagée qui travaille au plus près des usines socialistes, voit sa vie s’écrouler une deuxième fois : son frère, Uli, va passer à l’Ouest, dans un ou deux jours. Konrad, son autre frère, y est déjà passé, il y a quelques années, avec sa copine, pour le grand malheur de sa sœur. À l’aide d l’homme qu’elle fréquente, Joachim, Elisabeth va essayer de faire entendre raison à son frère aimé.
Le livre de Brigitte Reimann permet d’avoir un aperçu des tiraillements de la jeunesse allemande de l’époque, du moins celle ayant vécu en RDA. Sans compter qu’elle devait également gérer l’héritage nazi plus qu’encombrant de la famille, du père ici, refugié dans une posture de « neutralité », Elisabeth devait ensuite accepter un destin socialiste, surveillée par la Stasi, en sachant qu’une possibilité autre existait à une frontière de là, dans le même pays qui paraissait si différent. Traverser une frontière, c’était changer de vie, disparaître et renaître à la fois, créer de nouveaux liens et tuer mentalement et physiquement sa famille qui se berçait d’illusions. Passer de l’autre côté du miroir, c’était dire adieu aux siens.
Si la condition dramatique des réfugiés ne change pas à travers le temps, la situation particulière qui régnait dans l’Allemagne de l’après-guerre créait des tensions insensées. Elisabeth, si proche de son frère Uli, va discuter avec lui, se promener dans les rues, boire des verres, danser aussi, même si dans le fond, l’issue est jouée d’avance. Il n’y a pas tant la trace d’un suspens qui se dessine, mais une fantastique embardée au sein de la RDA, mais aussi de la RFA, au début des années 1960, dans une complexité politique et intime qui est la force du récit. Il ne s’agit pas de réduire deux camps à des principes moraux : l’Ouest et l’Est. Les arguments antisocialistes sont emprunts de désillusion, ceux qui font la louange du marché libre et de la concurrence sont rapidement contrecarrés. Il n’existe pas de bon régime politique, juste des individus qui trouvent davantage de sens à vivre dans l’un plutôt que dans l’autre.
Une fratrie est aussi un roman familial, un condensé d’une période sexiste où les hommes étaient au pouvoir et les femmes traitées comme peu vertueuses dès qu’elles décidaient de ne plus se soumettre. Il n’est d’ailleurs pas si étonnant de savoir que ce sont Konrad et Uli, les deux garçons de la famille, qui fuient l’Est de l’Allemagne, alors qu’Elisabeth, peut-être d’une certaine façon plus docile (même si le reste de son histoire ne la rend pas si docile que cela) reste à l’Est. Uli attrape Elisabeth par le bras, la frappe presque, lui parle mal, de même que Konrad. Ce sont les hommes qui dirigent, même si Elisabeth, peintre avec un certain talent et une volonté de ne pas se laisser faire, sait tirer son épingle du jeu, dans un monde où on cherchera vite à pourrir la réputation d’une femmes si les hommes n’obtiennent pas ce qu’ils attendent d’elle.
Reimann décrit aussi, d’une écriture belle, intelligente et complexe, qui fait drôle à lire aujourd’hui, cette relation qu’elle développe avec son frère, presque incestueuse, l’aimant comme qui dirait plus que son copain. Une fratrie, c’est l’histoire d’une femme qui s’apprête à vivre une crise de sens, sans son amoureux de frère et sa relation toxique qui le lie à lui, une femme qui, à travers les souvenirs et les échanges gonflés d’alcool, devra faire preuve de résignation.