« The Eternal Daughter », double je

The Eternal Daughter
de Joanna Hogg
Drame
Avec Tilda Swinton, August Joshi, Carly-Sophia Davies
Sorti le 27 septembre 2023

Julie, une réalisatrice en mal d’inspiration, vient séjourner avec sa mère dans un hôtel de la campagne britannique, et tenter d’y écrire son prochain film. Creusant toujours la même veine autobiographique, Joanna Hogg accouche avec The Eternal Daughter d’un film de fantôme gothique sur le deuil et la vampirisation des mères.

Un taxi fend la nuit sur une route de campagne. Au dessus de lui, les arbres étendent leur doigts crochus pour le guider vers un manoir perdu dans la brume, duquel Julie et sa mère Rosalind seront les seules pensionnaires. Dés la scène d’introduction, le ton est donné et Joanna Hogg inscrit son film de maison hantée dans la lignée des productions gothiques anglaises de la Hammer.

Tourné en plein confinement, The Eternal Daughter est entièrement circonscrit au cadre de cette demeure imposante, dans laquelle Rolasind a vécu une partie de sa jeunesse. Le séjour s’apparente alors pour la vieille dame à un voyage dans les méandres de ses souvenirs, qui hantent la maison. La cinéaste s’empare des codes du film fantastique dans leur acceptation la plus littérale : une impossibilité à trancher entre le réel et le surnaturel. Les dissonances arrivent donc par petites touches : sonores d’abord, dans la chanson fredonnée par la réceptionniste – qui rappelle immédiatement la comptine de Flora dans The Innocents de Jack Clayton, avec lequel le film dialogue sans cesse – qui la nuit se mue en complainte sépulcrale, émaillée de cris d’oiseaux et de claquements de fenêtres. Par le décor lui-même ensuite, peuplé de statues inquiétantes et de visages engravés dans les boiseries, qui toisent les deux résidentes de leur sinistre fixité.

Mais, sans trop dévoiler l’intrigue, c’est au travers de ce duo mère-fille que se manifestera la présence émouvante d’un fantôme, ou plutôt d’un revenant. Être défunt condamné à l’éternel retour, il trouve ici son évocation formelle dans le motif de la boucle, qui organise le film. Répétitives, les journées de Julie sont rythmées par les repas avec sa mère, les tentatives avortées d’écriture, les appels à son compagnon  – qu’elle passe à marcher en rond -, et les escapades nocturnes de la standardiste. Joanna Hogg trace ainsi des cercles concentriques autour du personnage de Julie, comme une prison mentale dont elle ne peut s’échapper. Cette prison, c’est celle de la culpabilité qu’elle porte vis-à-vis de sa mère, qui semble motiver chacune de ses attentions envers elle, et musèle son inspiration.

A ce stade, il est bon de dévoiler que la mère et la fille sont toutes deux interprétées par Tilda Swinton, actrice transformiste habituée des performances singulières (elle campait déjà deux sœurs jumelles dans Okja de Bong Joon-Ho). Belle idée d’une duplicité, appuyée par une utilisation soutenue des miroirs, et qui souligne la vampirisation d’une mère sur sa fille, tout en redonnant de la vitalité à la figure basique du champ-contrechamp. Jamais du même plan, les deux personnages évoluent dans deux espaces parallèles, dialoguant ainsi à travers les couches du temps, replié sur lui-même par ce parti pris de mise en scène simple mais bouleversant. Mais la courbure du temps ne peut durer éternellement, et, bientôt, le vide reprendra sa place inévitable. Il faudra alors revenir au présent, faire face, et dire adieu au fantôme.