« Temps Mort », 48h sous tension

Temps Mort
d’Eve Duchemin
Drame
Avec Karim Leklou, Issaka Sawadogo, Jarod Cousyns
Sorti le 19 avril 2023

Suite à ses études à l’INSAS, Eve Duchemin se lance sur la voie du documentaire et reçoit, en 2016, le Magritte du meilleur documentaire 2017 pour En Bataille, portrait d’une directrice de prison. Le même intérêt pour le milieu carcéral la guide pour le projet Temps Mort.

Dans ce film les pauses s’inversent, ce n’est plus la prison qui fait office de marge, mais l’extérieur et toutes les anciennes tentations qui rejaillissent en contrepoint aux quotidiens des détenus. Dès le premier regard, on plonge dans le drame, la situation n’est pas maîtrisée, les émotions non plus. Eve Duchemin investit ici un terrain sensible bâti sur une expérience de trois années à fréquenter la prison de Liancourt. Ici, pas d’évasion à la Prison Break, mais une permission de 48h.

Les affects qui transpirent à l’écran sont teintés des rancœurs du passé, ils deviennent vifs et piquants, on teste les condamnés qui ont tant (trop) à se faire pardonner et on les craint. Cette ambivalence est métaphorisée par le costume de Dinosaur, mi-drôle mi-inquiétant porté par l’un des comédiens principaux. Karim Leklou tient le rôle du père coupable et addict à merveille, le regard trouble, perdu, et la carrure imposante et dangereuse, tantôt monstre d’affection, tantôt alcoolique primitif. Les deux autres personnages, Colin (Jarod Cousyns) et Hamousin (Issaka Sawadogo) oscillent également entre les frontières de deux mondes qui ne sont pas faites de bêton, mais bien de contorsions mentales délétères. Les ressassements ont trop macéré pour s’exprimer sous une forme résiliente ou métaphysique.

Chaque geste semble empreint du regret d’actions passées, mais la caméra ne s’avise pas de la cause de leur incarcération et se centre sur leurs habilités sociales dysfonctionnelles. Hamousin  porte la figure sainte du noir pour toujours martyr, se mettant lui-même en prison dans son rôle de concierge à la suite de sa remise en liberté. Parfois un peu stéréotypé : les femmes sont infirmières, inquiètes, victimes, les hommes sont excessifs, égoïstes et addicts, le script est avant tout réaliste. La réalisatrice ne cède pas au misérabilisme, car l’on comprend vite que les prisonniers “méritent” leur peine (pas comme les pauvres policiers de Bac Nord par exemple). Piège pour Cendrillon, seul le plus jeune qui réussit à obtenir un semblant de pardon maternel offre une perspective lumineuse à ces 48h. Ce temps imparti nous a permis de les observer à la manière d’animaux sauvages à qui le costume de citadin scierait mal. Pas d’Indiens, mais des détenus dans la ville : des anti-héros modernes qui évoluent dans un monde où le danger est tout aussi intrinsèque qu’extrinsèque. Entre virilité toxique et vulnérabilité émouvante les portraits sont incarnés par des comédiens au jeu d’acteur intense.

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