Retour au Kosovo : entre devoir de mémoire et besoin d’oubli

retour au kosovo couverture

scénario : Gani Jakupi
dessin : Jorge Gonzalez
édition : Dupuis
date de sortie : 3 octobre 2014
genre : Historique, documentaire

Pourquoi tant de haine ? La question est naïve, et pourtant récurrente. Gani Jakupi, un auteur et illustrateur d’origine kosovare, se l’est longuement posée, tout en assistant depuis l’Espagne aux troubles qui déchirèrent son pays natal durant la guerre d’indépendance. Durant cette période, la presse relatait chaque jour de nouveaux massacres et de nouvelles atrocités tandis que lui, impuissant, n’avait que ses yeux pour pleurer le sort des siens. C’est alors qu’il décida à utiliser l’écriture comme exutoire : « J’avais besoin d’écrire pour expulser de ma mémoire un vécu qui me tourmentait », explique-t-il.

Gani Jakupi, dans Retour au Kosovo, se revendique un antimilitariste farouche. Au cours de son récit, il ne cherche pas à prendre parti pour un camp ou pour l’autre, pour les Serbes ou pour les Albanais. Il n’adopte ni une position de juge, ni une posture d’arbitre. Son unique prise de position est en faveur de la paix, de la réconciliation entre ces deux communautés déchirées par une haine absurde et ancestrale. Dans cette œuvre largement autobiographique, il revient sur la façon dont chacun vécut ces temps difficiles, sur sa propre souffrance et celle de son peuple. Surtout, il partage avec beaucoup de sensibilité les émotions qu’il éprouva en redécouvrant le décor de ses origines. Un paysage chamboulé, délabré, que mutilent encore les derniers soubresauts d’un conflit qui ne tombera pas dans l’oubli de sitôt.

Pour mener à bien ce projet de grande envergure, Gani Jakupi s’est associé à l’illustrateur d’origine argentine Jorge Gonzalez. Un exilé, lui aussi, dont les illustrations très typées ne laisseront pas le lecteur coi. Des dessins simples sans être simplistes, enfantins mais non naïfs, évocateurs plutôt que voyeuristes. Réalisés à la pastelle, ils sont tantôt hauts en couleurs, tantôt au contraire gris, sombres et violents, soulignant ainsi les ambiances contrastées qui rythment la narration.

En somme, Retour au Kosovo relève d’un exercice d’écriture du traumatisme. Il fallut quinze ans à l’auteur pour parvenir à trouver les mots justes, ceux qui expriment son ressenti avec justesse. Quinze longues années… mais le jeu en valait la chandelle. Car Jakupi conclut son travail de mémoire collective par les mots suivants : « Partager cette histoire avec les autres me semble la meilleure manière de m’accorder l’oubli dont j’ai besoin »

 

A propos Ivan Sculier 67 Articles
Journaliste du Suricate Magazine

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