Le Portrait de Dorian Gray au Théâtre Royal des Galeries

Adaptation de Fabrice Gardin et Patrice Mincke

Mise en scène de Patrice Mincke avec Benoît Verhaert, Damien de Dobbeleer et Frédéric Clou

Du 22 octobre au 16 novembre 2014 à 20h15 au Théâtre Royal des Galeries

« Comme c’est triste ! Je vais devenir vieux, horrible, effrayant. Mais ce tableau n’aura jamais un jour de plus qu’en cette journée de juin… Si seulement ce pouvait être  le contraire ! Si c’était moi qui restais jeune, et que le portrait vieillit ! Pour obtenir cela, je donnerais tout ce que j’ai ! Je donnerai mon âme pour l’obtenir! »

Telle fut l’erreur funeste de Dorian Gray, un dandy émerveillé par sa jeunesse et sa beauté : réaliser ce vœu devant un portrait que lui peint son ami Basile Hallward. Influencé par Lord Henry qui transforma l’innocent adolescent angélique qu’il était en un homme altéré qui se lance aux différents plaisirs vicieux de la vie, Dorian Gray paya cher son vœu qui fut exaucé. « Le péché s’inscrit de lui-même » sur le portrait de Gray, « les vices des méchants se révèlent dans les lignes de la bouche, dans la lourdeur des paupières… », alors que son vrai visage préserva la floraison de la jeunesse.

Le Portrait de Dorian Gray, chef-d’œuvre littéraire d’Oscar Wilde, libère la bête immonde qui loge dans l’homme, image souvent traquée par la moralité sociétaire. Le défi d’adapter à la scène un tel roman, que se lancent Fabrice Gardin et Patrice Mincke, n’est pas évident. Entre un récit fantastique à raconter, des pensées révolutionnaires à concrétiser, et des émotions à transmettre, des choix s’imposent. Les scénaristes décident de se concentrer sur les relations entre les trois personnages principaux du roman, joués par Benoît Verhaert, Damien de Dobbeleer et Frédéric Clou. Ils poussent ce choix au bout en utilisant les mêmes acteurs pour jouer chacun différents rôles secondaires. Plus loin, certains de ces personnages se fondent dans le décor avec la texture et la couleur de leurs costumes. Règnent alors sur scène Dorian Gray, Lord Henry et Basile Hallward.

L’esprit Wildien ainsi que la construction dramatique du roman se trouvent respectés dans la mise en scène théâtrale, ce qui n’a pas toujours été le cas dans de précédentes adaptations cinématographiques. Baignés dans la brume blanche de Londres, les décors se transforment sur scène : nous transportant d’une rue nocturne éclairée par un lampadaire, unique adjuvant à Dorian pour révéler sa jeunesse dans un moment tragique; vers sa luxueuse demeure victorienne où ne lui reste en compagnon que son sinistre portrait. Les meubles de la pièce tournent et exposent, glissent puis se déposent, pendent et se suspendent. A cette fluidité scénographique s’ajoute une construction dialogique : une réplique qui finit une scène en ouvre une autre. Mincke fragmente ainsi à fur et à mesure du jeu l’espace scénique explorée en toute sa profondeur en plusieurs décors, se déplaçant de lieu en lieu et d’ellipse en ellipse ; utilisant l’entrée en scène des acteurs en arrière plan ou le chevauchement de leurs répliques pour transformer la continuité des scènes en une contiguïtés illusoire.

Mincke et Gardin ajoutent à la pièce une scène d’ordre analytique, autant problématique au niveau de la réception spectatorielle qu’au niveau de la structure dramatique : Dorian Gray et Lord Henry s’embrassent d’un baiser qui brûle la scène. Ils mettent ainsi en vie des propos homosexuels sous-jacents de l’œuvre, que Wilde ne pouvait évoquer à son époque et pour lesquels il a été emprisonné des années plus tard. Dommage que Mincke ne pousse pas cette réflexion plus loin pour qu’elle prenne partie intégrante du spectacle, réduisant ainsi ce baiser de Judas, qui semble parachuté au milieu de la pièce sans précurseurs ou successeurs, à un moment de choc.

L’un des changements les plus remarquables au niveau de l’adaptation reste pourtant l’ancrage du personnage de Lord Henry dans la scène finale de la pièce, contrairement au roman où Dorian Gray perce son portrait tout seul, refusant toujours de lui raconter son secret. On se demande si ce choix ne consiste pas en une facilité dramatique pour dissimuler une faiblesse dans l’adaptation. En effet, la présence de Lord Henry dans la pièce à ce moment rajoute à son personnage la capacité d’acquérir des connaissances narratives dont il ne disposait pas dans le livre. Ce qui permet à Fabrice Gardin et Patrice Mincke d’utiliser ce personnage en tant que narrateur de l’histoire de façon plus crédible, lui collant ainsi à la bouche tous les propos narratifs de Wilde qu’ils n’arrivent pas à mettre en scène. Un pied dans un statut de personnage qui en connaît moins que le spectateur, un autre dans le statut d’un narrateur omniprésent, l’interprétation de Lord Henry ne tient plus debout.

Si l’adaptation théâtrale de Gardin et Mincke n’ajoute aucune strate et aucun langage au Portrait de Dorian Gray, elle ne lui en ôte pas d’autant. Pour les amateurs du genre, une pièce classique visuellement riche à savourer en deux actes.

A propos Patrick Tass 41 Articles
Journaliste du Suricate Magazine

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