Titre : Pandemonia
Auteur : Diego Agrimbau et Gabriel Ippoliti
Éditeur : Dargaud
Sortie : 07 février 2025
Genre : Bande dessinée
Sartre disait « L’enfer, c’est les autres ». Pour Agrimbau et Appoliti, l’enfer, c’est nous. Les auteurs argentins mis à l’honneur par Dargaud exploitent avec humour les failles de notre société, peuplée de bureaucrates surchargés et marabouts de la pensée positive.
Nous sommes tous différents, mais il y a en ce bas monde, quelque chose qui met tout le monde d’accord. Il n’y a pas plus grande purge que de se retrouver face à un problème de paperasse stérile et énergivore. D’ailleurs, si la torture était une musique, ce serait la mélodie entaillée, supposément apaisante, des services d’aide téléphonique. Si la souffrance était une couleur, elle serait la blancheur crasseuse des dossiers procrastinés qui s’empilent au bord du bureau. Tout le monde le sait, l’enfer c’est l’administratif. Et quand la machine bureaucratique s’enraie, c’est carrément une atteinte à la patience. Mais Diego Agrimbau et Gabriel Ippoliti ne se contentent pas de le soupirer après une énième déconvenue à la poste ou à la banque. Ils prennent carrément le mot au pied de la lettre.
Ismael Posta est une figure à succès du développement personnel. Charlatan à ses heures perdues, il prêche la pensée positive comme un gourou de secte. Mais le destin peut se montrer ironique. Après une énième conférence pour rendre à ses adeptes le pouvoir sur leur vie, Posta passe l’arme à gauche. Avec son infarctus, il gagne un ticket simple pour Pandemonia, dans les limbes de l’enfer. Les promoteurs d’escroqueries pyramidales et gourous du développement personnel viennent d’entrer dans la nouvelle liste des péchés répréhensibles. Tout comme les incels radicaux et les anti-vax. S’il plaide coupable, l’enthousiaste manipulateur peut espérer profiter des terrasses dorées d’un complexe hôtelier avec torture light et chaudière privée. Mais assumer ses responsabilités n’est pas dans les habitudes du beau parleur.
La nouvelle vie de Posta a des airs de désespoir. Des tours brunâtres grattent les cieux. Les trottoirs sont accidentés et le paysage urbain, brûlant. Des foules de grévistes se bousculent devant les syndicats. Les ouvriers infernaux se sentent exploités. Les conditions de travail sont épouvantables. Le tribunal du jugement dernier reçoit les coupables à la chaîne, entreprise déshumanisée et sans possibilité de faire appel. Lucifer et Belzebuth sont complètement dépassés par la prolifération de nouveaux damnés, ce qui rend la bureaucratie satanique obsolète. En fait, l’enfer d’Agrimbau et de Ippoliti ressemble à notre monde. En plus chaud. Et en pire. Dans un style caricatural mais pas avare de détails, les auteurs ironisent sur les valeurs et l’organisation sociale du XXIe siècle. L’administration et le développement personnel en prennent pour leur grade. Le premier, représenté sous la forme de pantins cornus incompétents. Le second, par une figure de proue ventripotente, la mâchoire carrée et les cheveux gominés. Bienvenue à Pandemonia est satirique, jouissif parce qu’il nous confronte à notre impuissance et à notre absurdité, dans un style de dessin efficace.