
Dragons
Réalisateur : Dean DeBlois
Genre : Action, Aventure, Fantastique
Acteurs et actrices : Mason Thames, Gerard Butler, Nico Parker
Nationalité : USA
Date de sortie : 11 juin 2025
Sur l’île escarpée de Beurk, où depuis des générations vikings et dragons s’affrontent sans merci, Harold fait figure d’exception. Effacé, écrasé par la stature de son père, le chef de la tribu Stoïk, ce jeune rêveur défie des siècles de tradition en se liant d’amitié avec un dragon nommé Krokmou. Leur lien improbable va révéler la vraie nature des dragons et remettre en question les fondements mêmes de la société viking. Flanqué de l’ambitieuse Astrid et de l’excentrique forgeron du village Gueulfor, Harold va devoir s’imposer dans un monde déchiré par la peur et l’incompréhension.
Quinze ans après la sortie en salles de son film d’animation Dragons (How to Train Your Dragon dans sa version originale), Dean DeBlois se lance dans un remake en prises de vue réelles. Ce choix, audacieux lorsqu’on songe aux revers critiques essuyés par Disney dans le domaine des adaptations « live-action », témoigne avant tout d’une stratégie économique assumée : DreamWorks entend capitaliser sur la renommée de son catalogue, à l’instar de son concurrent. Néanmoins, au-delà d’un simple calcul financier, cette entreprise requiert une véritable réflexion artistique, dont le studio de Glendale semble avoir saisi l’importance.
Pour cerner les enjeux de cette démarche, il convient d’abord de jeter un œil aux productions similaires signées Disney. Qu’il s’agisse du Roi Lion, d’Aladdin, de Mulan, de Dumbo, de La Petite Sirène, d’Alice au Pays des Merveilles, de Blanche Neige ou plus récemment, de Lilo et Stitch (dont l’idée originale était co-écrite et co-réalisée par Dean DeBlois), on constate une palette d’aventures cinématographiques oscillant entre succès et échecs, tant sur le plan narratif que visuel, financier ou même sociopolitique. Bref, aucun ne semble faire consensus. Si les considérations financières (combien coûte une adaptation en prises de vue réelles par rapport à son gain potentiel) ou socio-politiques (le fait que la petite sirène soit interprétée par un personne de couleur ou que l’actrice de Mulan, Liu Yifei, ait publiquement supporté la brutalité et l’oppression de la police de Hong Kong) mériteraient un article à part entière, attardons-nous plutôt sur les aspects scénaristiques et visuels, autrement dit artistiques.
D’un point de vue scénaristique, il y a deux façons de réaliser un remake. La première, c’est la fidélité scrupuleuse, c’est-à-dire reproduire presque à l’identique l’intrigue, les personnages et l’esprit du film original. Cette méthode, souvent accusée de mercantilisme ou, au mieux, jugée paresseuse, peut cependant s’avérer judicieuse lorsqu’il s’agit de conférer une nouvelle jeunesse à une œuvre parée de moyens techniques modernes. L’exemple du King Kong de Peter Jackson (2005) ou du Scarface de Brian De Palma (1983) illustre bien qu’une histoire intemporelle, retravaillée pour un nouveau public, peut conserver sa force narrative à condition de préserver son âme. Toutefois, dans le milieu de l’animation et du live-action, l’ombre de la nostalgie guette toujours : le spectateur, attaché à ses souvenirs d’enfant, se montre moins indulgent lorsque le film initial n’est pas suffisamment ancien ou fut jadis un énorme succès. Qui irait critiquer un remake live-action de Taram et le Chaudron magique en le comparant à l’ancien ? Pas grand monde.
La seconde, c’est la réinterprétation créative : conférer au matériau d’origine une nouvelle identité, sous la patte d’un réalisateur audacieux. Tim Burton, à cet égard, s’est illustré avec ses Dumbo et Alice au Pays des Merveilles, proposant une réécriture visuelle et thématique qui prend parfois le contre-pied du message initial. Ce parti pris, loin de viser la simple mise à jour technique, consiste à offrir un « objet » cinématographique inédit, susceptible de toucher un public nouveau. Cependant, ce geste implique un risque majeur : celui de ne pas rencontrer son public cible, celui qui chérit l’œuvre d’origine. Peu de studios s’aventurent ainsi à transformer radicalement un classique, préférant généralement exploiter des spin-offs (exemples : Maléfique ou Cruella).
Parlons maintenant du point de vue visuel. Très important dans notre cas, puisqu’il s’agit de l’enjeu et de la réussite principale de l’adaptation de Dragons. Dans le cinéma, et plus particulièrement dans l’animation ou le fantastique, la stylisation extrême autorise l’exagération, la métaphore visuelle et les codes symboliques sans heurt. On accepte volontiers qu’un personnage arbore des proportions irréalistes ou que la gravité même semble altérée — c’est le fondement de la suspension consentie de l’incrédulité. En revanche, transférer ces artifices dans un univers où tout paraît tangible peut créer une dissonance. Difficile par exemple de voir Timon et Pumbaa faire diversion en effectuant une danse hawaïenne dans un live-action, ce serait ridicule. Cas d’école en la matière, Le Roi Lion de Jon Favreau (2019), en reprenant fidèlement l’histoire de la version « dessin animé » et en nous montrant des animaux réalistes, a créé une rupture : les animaux, bien que techniquement impressionnants, ne peuvent plus afficher des émotions humaines claires sans tomber dans l’inconfort du « uncanny valley » ou dans l’inexpressivité.
Partant de ce constat, lorsqu’on examine le film Dragons, on mesure combien DreamWorks a su tirer les leçons des tentatives de son concurrent. L’univers des vikings en lutte contre des dragons puise son inspiration à la fois dans la mythologie nordique et dans l’imaginaire populaire façonné par des séries comme Game of Thrones ou Le Hobbit : La Désolation de Smaug. Cette imagerie bénéficie d’un socle culturel déjà profondément ancré, facilitant l’adhésion immédiate du spectateur.
À cela s’ajoutent trois facteurs déterminants que nous avons abordés plus haut. Premièrement, la force nostalgique : la trilogie animée Dragons, saluée pour sa profondeur émotionnelle et sa richesse visuelle, demeure un repère marquant pour la génération des 20–35 ans. Deuxièmement, la cohérence mythologique : dragons et Vikings appartiennent à un imaginaire collectif universel, qui se prête naturellement à la transposition dans un espace « réel » sans que l’incrédulité vacille. Et enfin, troisièmement, la facilité d’identification des personnages humains : contrairement à Shrek, dont la morphologie ogresque aurait nécessité une approche totalement différente, Dragons repose sur une humanité « ordinaire » (jeunes Vikings et villageois), facilitant le casting et l’incarnation de l’émotion sans recourir à un maquillage ou à des prothèses créant un décalage.
Le réalisateur Dean DeBlois et DreamWorks ont donc misé sur le « bon cheval ». Le film parie sur un équilibre subtil entre effets spéciaux et décors naturels, conférant aux dragons une dimension hybride — à la fois majestueux et crédibles dans un cadre réaliste — tout en garantissant la clarté narrative. Le spectateur, familiarisé avec les enjeux émotionnels de la trilogie animée, retrouve les relations fortes entre Harold, Astrid, Stoïck et Gueulfor, mais aujourd’hui portées par des acteurs en chair et en os tels que Mason Thames, Nico Parker, Gerard Butler et Nick Frost, dont les prestations justes ajoutent une puissance supplémentaire au récit.
Enfin, s’il ne faut pas perdre de vue que Dragons reste un produit formaté, fidèle à une logique de « fan service », le long-métrage reproduit les séquences iconiques (batailles avec les dragons, scènes de complicité) avec un soin esthétique évident, quitte à gommer certaines aspérités narratives. La mise en scène privilégie un rythme soutenu, presque frénétique, qui ne laisse guère de répit au spectateur : les combats s’enchaînent, la tension demeure constante et le film ne cède qu’à de rares instants de respiration émotionnelle. Celle-ci confère à Dragons une dimension spectaculaire indéniable, plaçant le spectateur au cœur de l’action.
En résumé, Dragons est une adaptation calibrée mais réussie d’un film d’animation incontournable. Un rythme incroyable, des vikings drôles et des dragons jamais horribles qui permettent de faire passer un bon moment de cinéma aux petits et aux grands enfants.