« Mon Crime », jouer ou mourir

Mon Crime
de François Ozon
Comédie dramatique, Policier
Avec Nadia Tereszkiewicz, Rebecca Marder, Isabelle Huppert
Sorti le 15 mars 2023

Paris, années 30. Madeleine Verdier, jeune comédienne sans le sou, est accusée du meurtre d’un grand producteur. Défendue au tribunal par sa colocataire avocate, Madeleine est acquittée pour légitime défense. Commence alors une nouvelle vie faite de gloire et d’argent, jusqu’au jour où les ennuis viennent frapper à sa porte.

Avec Mon Crime, étonnant exercice de style maniériste, le prolifique François Ozon s’inscrit dans une certaine tradition française allant du réalisme poétique à la comédie de boulevard. Dans une reconstitution soignée du Paris de l’entre-deux guerres, le réalisateur prend un plaisir évident à disposer les pions d’un jeu de dupes aussi codifié que confortable, véritable cadeau offert à une distribution cinq étoiles. En effet, ce pari un peu fou d’un film désuet (vintage ?) – le scénario est adapté d’une pièce datant de 1934 – est remporté haut la main par le cinéaste qui embrasse pleinement la théâtralité de son matériau. Si, de prime abord, le jeu outrancier des acteurices paraît déstabilisant, on est rapidement charmé par la diction chantante de Dany Boon, la voix flutée et langoureuse de l’excellente Nadia Tereszkiewicz et les saillies claironnantes d’Isabelle Huppert. Il faut saluer la performance de la stakhanoviste du cinéma français, qui dynamite le film en son milieu avec ce personnage d’ancienne diva du muet accrochée à ses privilèges, propulsant ainsi le récit dans un délire grotesque et irrésistible. L’intrigue policière passe alors discrètement au second plan et laisse place à une succession de joutes verbales qui ne manquent pas de piquant.

C’est cette même jouissance du jeu qui permet astucieusement à Ozon de dépasser le didactisme de son propos sur la domination masculine, limite d’un film se réclamant un peu trop ostensiblement de son époque. La scène du plaidoyer paraît à cet effet assez symptomatique : encombré de propos empruntés à notre siècle, le monologue de Pauline sur la condition des femmes menace de sortir le spectateur du récit. Mais, fort heureusement, la bêtise comique de l’avocat général le rassied définitivement dans le fauteuil confortable de la fiction. Le long-métrage, qui aurait pu ennuyer en dissertant sur cette sempiternelle dialectique du bien et du mal, nous surprend alors dans sa capacité à dévoiler les intentions pas toujours si morales de ses héroïnes. Face aux trajectoires de personnages de femmes scrutées et objectifiées par les pouvoirs dominants – du metteur en scène, du commissaire, du juge – desquels elles ne peuvent triompher à la loyale, le cinéaste joue la carte de la roublardise en les invitant à se faire justice par elles-mêmes, dussent-elles abuser de la flatterie et du mensonge. Là réside toute l’intelligence d’un film qui, entre l’injustice et la vertu, propose une troisième voie de sortie comme horizon éthique et esthétique absolu : le jeu.